Interview : général Christian Rodriguez : “ être là quand on a besoin de nous, c’est au fond notre raison d’être”

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Le général Christian Rodriguez dans la cour de la DGGN (Photo Brice Lapointe/Sirpa Gendarmerie)

Après plus de trois ans à la tête de la Gendarmerie, le général d’armée Christian Rodriguez, directeur général, a accordé une longue et inédite interview à La Voix du Gendarme. Dans cet entretien très riche, sont abordés des sujets aussi variés que le plan stratégique “Gend 20.24”, les 200 nouvelles brigades, le dispositif de gestion des évènements, le diplôme d’arme, la militarité de l’Arme, la montée en puissance de la réserve, les Jeux olympiques ou encore les interventions du haut du spectre.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, le DGGN annonce une réflexion sur la rénovation de la Défense opérationnelle du territoire, qu’il présente comme “un enjeu majeur”. Cette interview a été publiée dans le magazine de février de la Voix du Gendarme. avant les événements de Sainte-Soline, le drame de l’Allier, les manifestations contre les retraites et le meurtre du major Arnaud Blanc en Guyane.

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Le tableau de marche du plan 20-24 est-il respecté ? Quels sont les objectifs restants d’ici 2024 ?
La stratégie GEND 20.24 est bien plus qu’un plan : c’est une dynamique qui oriente toutes les actions de la Gendarmerie. On a d’abord établi la cartographie des enjeux : la mission, la cohésion, l’innovation, la simplification – notre carré magique ! Et ensuite, c’est un mouvement perpétuel. Parce que la Gendarmerie est par définition une force qui va et ne cesse de se transformer au gré des évolutions de l’environnement stratégique. On regarde ce qui se passe autour de nous, on en tient compte et on s’adapte sans pour autant jamais renier nos fondamentaux, l’état militaire, l’ancrage territorial, le contact et la proximité. Mieux, on les renforce. Le but est de rendre le meilleur service possible à la population, dans une logique de “sur-mesure” et avec une attention toute particulière portée aux victimes et aux personnes les plus vulnérables.

Chaque semaine, le DGGN se rend dans une brigade (Photo Gendarmerie Occitanie Frédéric Corral)

Depuis trois ans, nous avons déjà fait beaucoup de choses et nous en mesurons les premiers résultats. C’est d’abord l’offre de protection adaptée à la diversité des attentes, des besoins et des modes de vie de la population. À cet égard, nous avons initié un véritable changement de paradigme : l’idée est d’aller vers les gens, et non plus d’attendre qu’ils viennent à nous. On passe d’une logique de guichet à une logique de pas de porte.

Le numérique représente bien sûr un atout majeur pour rendre possible cette évolution. Grâce aux 40 000 UBIQUITY déployés sur le territoire, chaque Gendarmes a désormais sa brigade dans la main. Sans avoir besoin de retourner dans ses locaux, il dispose sur son PC portable de toutes les applications nécessaires à sa mission. C’est la brigade 4.0, soit plus de mobilité pour plus de proximité. L’année dernière, plus de 10 000 plaintes ont été prises en mobilité avec UBIQUITY. Par ailleurs, dans le cadre de NEO 2, nous avons déployé 110 000 smartphones et 10 000 tablettes en 2022, et nous développons désormais NEO 3 pour que chaque NEO puisse être utilisé comme un ordinateur portable. Avec nos partenaires, nous avons aussi fait évoluer l’application “Ma Sécurité” pour proposer des contenus adaptés aux usagers.

Une centaine de dispositifs innovants créés

Afin de toujours mieux protéger les Français, nous avons renforcé nos capacités d’intervention, avec le Dispositif d’intervention augmenté de la Gendarmerie (DIAG), le GIGN 3.0 et en poursuivant la densification de nos PSIG (500 concernés à ce jour). Nous avons également créé une centaine de dispositifs innovants, les Maisons de protection des familles (MPF) pour mieux accueillir et accompagner les personnes vulnérables et les victimes de violences intrafamiliales, avec des personnels spécialisés et en lien direct avec l’ensemble des partenaires concernés. Un référent VIF a été mis en place dans chaque département, avec un rôle de formation. Depuis l’automne 2019, des milliers de Gendarmes ont bénéficié d’une formation adaptée pour mieux prendre en charge les victimes de VIF.

En interne, dans un souci de symétrie des attentions, nous donnons aussi la priorité à l’humain. Nous avons diversifié les voies de recrutement, créé un nouveau concours pour attirer dans nos rangs des officiers scientifiques. Nous avons développé l’innovation participative, en laquelle je crois beaucoup. Les Ateliers de l’Innovation en sont une illustration concrète : ils encouragent la créativité de nos Gendarmes et permettent de recueillir les bonnes idées, de favoriser la création d’applications pour faciliter le travail au quotidien. Grâce à l’intelligence artificielle, nous avons aussi développé et perfectionné de nouveaux outils de gestion RH, tels que notre ChatBot qui renseigne instantanément sur les parcours de carrière, avec une plus grande finesse.

Le but, c’est que les Gendarmes soient « heureux dans leur travail et qu’ils soient commandés par des chefs bienveillants. Nous faisons tout pour cela!

Selon un sondage interne, plus de 80% des Gendarmes sont aujourd’hui globalement satisfaits de leur affectation. C’est la confirmation que l’on va dans le bon sens. C’est la même dynamique humaine et innovante qui a conduit la Mission des hauts potentiels (MHP ndlr) à faire appel à l’expertise d’intervenants extérieurs pour repérer et préparer nos chefs de demain. Pour résumer : le but, c’est que les Gendarmes soient heureux dans leur travail et qu’ils soient commandés par des chefs bienveillants. Nous faisons tout pour cela !

Les gens ont souvent dans la tête des images d’Épinal sur la zone Gendarmerie. Or, 70% de nos effectifs sont en zone urbaine ou périurbaine, et nous avons l’expérience des interventions dans desquartiers sensibles.

Le ministre de l’Intérieur fait désormais de la présence des membres des forces de l’ordre sur la voie publique l’une de ses priorités. Quelle mesure envisagez-vous pour y parvenir ?
La présence de voie publique a toujours été pour nous une priorité. C’est la brique de base de notre travail ! C’est elle qui permet en tout premier lieu de prévenir les actes de délinquance, de recueillir du renseignement, d’intervenir sur des flagrants délits, de rassurer la population. Bref, de lutter à la fois contre l’insécurité et contre le sentiment d’insécurité. Voilà pourquoi le président de la République et le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer ont fixé l’objectif de doubler la présence des forces de l’ordre sur la voie publique en dix ans. Pour nous, c’est une évidence. Être là quand on a besoin de nous, c’est au fond notre raison d’être. Répondre présent, pour la population, par le Gendarme… Ce n’est pas un slogan, c’est une conviction que nous nous efforçons de décliner au plan opérationnel. Tout ce que nous faisons, c’est pour que le Gendarme soit le plus possible dehors, sur le terrain, au contact direct des gens. L’année dernière, nous avons gagné plus d’un million d’heures de présence sur la voie publique.

Je dois dire que la période est enthousiasmante ! Le gouvernement nous donne les moyens de nos ambitions. Grâce à la LOPMI voulue par le président de la République et le ministre de l’Intérieur, nous allons créer 200 nouvelles brigades territoriales et sept nouveaux escadrons de gendarmerie mobile.(1) C’est historique ! Nous inversons la tendance de ces vingt dernières années où nous fermions des brigades et perdions des escadrons. Parmi ces unités nouvelles, il y aura des brigades itinérantes qui nous permettront d’être partout où l’on a besoin de nous, y compris dans les coins les plus reculés. En outre, la LOPMI prévoit 7 500 personnels supplémentaires pour les forces de sécurité intérieure au cours des cinq années à venir, dont environ la moitié pour la Gendarmerie : ces créations de postes seront prioritairement destinées aux missions de sécurité du quotidien.

Nous tirons profit de toutes les opportunités, y compris au plan technologique. Je suis convaincu que l’intelligence artificielle peut nous apporter beaucoup comme outil d’aide à l’analyse et à la décision, afin de mieux occuper le terrain en fonction des besoins opérationnels. C’est devenu incontournable. Il ne s’agit pas de tout attendre de l’IA, mais d’en connaître les potentialités pour savoir ce que l’on peut en tirer et comment l’utiliser. L’IA n’est qu’un outil ; le but, c’est l’humain, c’est la proximité. On y travaille.

Par exemple, grâce à un nouvel algorithme qui sera déployé cette année, nous espérons obtenir les mêmes résultats encourageants que dans les onze groupements où nous l’avons d’ores et déjà expérimenté. Dans ces territoires, l’IA nous a permis de gagner en moyenne 3 % de présence de voie publique en plus.

Seriez-vous favorable, si la situation l’exigeait, à ce que la Gendarmerie, capable d’agir massivement en situation très dégradée, intervienne dans certaines cités sensibles en zone police ?

Notre premier devoir est de protéger les Français, où qu’ils vivent et quelles que soient les circonstances. Avec les policiers, nous sommes d’ailleurs confrontés aux mêmes phénomènes de délinquance et aux mêmes problématiques d’ordre public. Les gens ont souvent dans la tête des images d’Épinal sur la zone Gendarmerie. Or, 70 % de nos effectifs sont en zone urbaine ou périurbaine, et nous avons l’expérience des interventions dans des quartiers sensibles. Au cours de ces dernières années, nous avons géré des troubles à l’ordre public importants dans le Val d’Oise, dans l’Oise, dans la région de Blois, etc. Si besoin, nous sommes donc en mesure, avec la Police nationale, de coordonner nos efforts et de nous épauler mutuellement. Nous le faisons souvent, notamment dans le cadre du maintien de l’ordre public. On aime parfois gloser sur la “guerre des polices”, mais la vérité, c’est que nous avons l’habitude de travailler ensemble sur le terrain et que cela se passe bien. Nos escadrons de gendarmerie mobile comme nos unités de PJ interviennent souvent en zone Police. Bref, si la situation l’exige, nous avons les compétences, les expériences et les équipements pour répondre partout présent.

Vous avez évoqué, lors de votre audition du 27 juillet par les députés, la DOT et le rôle de la Gendarmerie. Celle-ci est-elle prête dans l’hypothèse d’une mise en œuvre de la DOT dans le cadre d’un conflit de haute intensité ? 

La guerre en Ukraine a largement bouleversé les conceptions sur lesquelles nous avions l’habitude de fonctionner depuis la fin de la Guerre froide. Le 24 février 2022, la guerre de haute intensité a fait son retour au seuil même de l’Union européenne, avec l’implication directe d’une grande puissance mue par une volonté délibérée d’agression et de conquête territoriale. Par conséquent, au-delà du spectre large auquel nous étions déjà préparés, l’hypothèse d’un conflit armé – voire d’une violation du sanctuaire national – ne peut plus être balayée d’un revers de la main. D’une manière générale, le champ de la conflictualité devient chaque jour plus complexe, les échelles de crises s’enchevêtrent les unes dans les autres. À cet égard, nous partageons le nouveau paradigme stratégique “compétition- contestation-affrontement” développé par le chef d’état-major des Armées.

Nous devons être en mesure de manœuvrer sur la totalité du spectre des crises et des oppositions.

Et la clé, c’est la capacité à faire la bascule d’un type de situation à l’autre – bref, c’est l’adaptation, la modularité et la fluidité des dispositifs. D’autant que la densité de notre maillage territorial nous place de facto en position de primo-intervenants et qu’il nous faut intégrer l’apparition de nouvelles menaces.

À l’agression “classique” contre des installations vitales, viennent s’ajouter les risques d’actes de sabotage, les cyberattaques, la “guerre informationnelle” et la diffusion de fake news aux fins d’ingérence et de déstabilisation, etc.

Notre structuration militaire nous prépare à affronter les situations les plus dégradées.

Nous avons l’expérience des OPEX, nous sommes polyvalents et “tout-terrain”. Comme je l’ai dit, nous avons renforcé nos capacités d’intervention. Nous sommes à présent en train de renforcer nos moyens opérationnels, avec les nouveaux blindés “Centaures” et les hélicoptères H160. Le ComCyberGend continue sa montée en puissance, de même que le Commandement des réserves (2). Bref, nous faisons en sorte de pouvoir répondre présent au cas où…

Avec le SGDSN (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale ndlr) et l’état-major des Armées, nous travaillons d’ailleurs sur plusieurs scénari possibles et nous réfléchissons à une rénovation de la DOT. C’est là un enjeu majeur et, pour nous, c’est une forte responsabilité : nous sommes la seule force armée à couvrir l’ensemble du territoire national, donc nous sommes en première ligne.

Au-delà des entraînements communs et de la réaffirmation de la militarité que vous encouragez, quelles mesures fortes envisagez-vous pour continuer de développer ce lien avec les Armées ?

Nous sommes une force militaire avec des missions de sécurité intérieure. Et cet état ne résulte pas seulement de notre cadre de droit, notamment du statut de nos personnels ; il implique aussi une manière proprement militaire d’aborder et d’exécuter les missions, d’anticiper les facteurs d’adversité, de penser et de mettre en œuvre l’encadrement et le commandement des hommes. Il présuppose également de prendre appui sur des savoir-être et des savoir-faire, d’accepter des contraintes – et de vivre collectivement selon des valeurs telles que l’honneur, la fraternité d’armes, l’esprit de sacrifice et le culte de la mission. Tout cela fait notre fierté et garantit notre efficacité. Et tout cela, nous le partageons avec l’ensemble de nos camarades des Armées.

Le général Rodriguez à la Valbonne lors d’un entraînement des PSIG avec l’armée de Terre (Photo Brice Lapointe/Sirpa Gendarmerie)

Bien entendu, nous avons nos spécificités propres au sein de la communauté militaire : la nature de nos missions et le lien de proximité quotidienne avec la population. Quoi qu’il en soit, ce caractère militaire est un pilier de la Gendarmerie et, à ce titre, il mérite d’être clairement défini, expliqué et compris. C’est d’ailleurs l’objectif du livret Soldats de la Loi que nous venons de réaliser et que nous diffusons en interne comme auprès de nos interlocuteurs extérieurs. Les fondamentaux que je viens d’évoquer nous permettent d’agir ensemble, en OPEX, dans le cadre de la DOT et lors d’exercices communs. Je songe à ORION 2023 auquel nous participons avec l’armée de Terre et qui est l’exercice le plus important depuis la fin de la Guerre froide. D’une manière générale, nous travaillons très régulièrement avec nos camarades “terriens”, dans une vraie relation de confiance entre les deux forces au plus haut niveau, ainsi qu’à l’échelon territorial entre les groupements et les régiments. Il y a une vraie complémentarité entre nous. Nous avons ainsi renouvelé notre protocole de coopération afin de mieux prendre en compte le durcissement des interventions sur le territoire national, renforcer la capacité opérationnelle des unités et favoriser l’interopérabilité.

Il y a en effet les entraînements conjoints, les formations tactiques des PSIG avec l’armée de Terre, mais nous développons aussi des synergies dans d’autres domaines, je pense par exemple à l’accompagnement des blessés.

Les Gendarmes sont des “soldats de l’intérieur”, l’armée de Terre se veut une “armée des territoires”. Par-delà la sémantique, il y a une culture commune revendiquée et des convergences de vues indéniables.

Quelle va être la manœuvre immobilière, logistique et humaine pour installer les sept escadrons créés ?

Cette manœuvre est déjà en cours et elle repose sur un calendrier précis. Concernant l’immobilier, nous avons d’ores et déjà commencé à étudier les futurs plans de construction et à réfléchir à la mise en place de dispositifs temporaires pour accueillir une partie de ces escadrons. D’ici à l’été, des locaux de service et techniques provisoires auront été installés. Concernant les effectifs, c’est également pris en compte dans les commissions d’avancement. Les premières affectations auront ainsi lieu à l’été prochain, internes en priorité, avant les différents stages au Centre de Saint-Astier entre février et juin 2024. Notre objectif, c’est qu’au début de l’été 2024, les sept nouveaux escadrons soient en mesure d’armer quatre pelotons et un peloton hors rang pour monter ensuite en puissance à 116 effectifs, avec un mélange efficace et opérationnel de Gendarmes déjà éprouvés et de Gendarmes sortis d’école.

Comment allez-vous procéder pour déterminer les lieux d’implantation des 200 nouvelles brigades ? Quels vont être les critères retenus ? et quelles manœuvres ressources humaines, immobilière et logistique pour construire les casernes et armer ces brigades ? 

La cartographie future de ces 200 nouvelles brigades sera déterminée par les besoins de la population au niveau local. C’est le critère fondamental, on va d’abord là où les gens ont le plus besoin de nous. Une concertation a été ouverte, elle est conduite dans chaque département par les préfets et les commandants de groupement avec les élus.

Ces derniers ont jusqu’au mois d’avril pour exprimer leur souhait d’accueillir une nouvelle unité. C’est le ministre de l’Intérieur qui validera les projets soumis par les territoires. Bien entendu, nous allons apporter un regard technique sur les capacités d’accueil des logements et des locaux de service, sur les enjeux de sécurité et la pertinence au regard des objectifs de présence de voie publique.

Au plan RH, la manœuvre est d’ores et déjà engagée. Dès cette année, 318 élèves-Gendarmes rejoindront ces nouvelles unités ou bien remplaceront dans les unités déjà existantes les sous-officiers expérimentés destinés à en assurer l’encadrement.

ll y aura plusieurs types de brigades. J’y tiens beaucoup, car c’est le meilleur moyen de nous adapter aux besoins concrets des territoires. Les brigades fixes viendront s’installer dans des locaux qui sont déjà disponibles ou bien qui seront prochainement construits. Quant aux brigades itinérantes que j’ai déjà mentionnées, elles bénéficieront de nouveaux véhicules adaptés à leurs missions d’accueil et de prise de plainte en mobilité, et elles seront bien sûr rattachées à des brigades existantes.

L’objectif de 50.000 réservistes va-t-il pouvoir être atteint avant les JO de 2024 ?
Le nombre moyen de jours d’emploi par réserviste, qui est de 24, va-t-il être porté au même niveau que les armées, à savoir 30 jours par an ? et le budget de la réserve sera-t-il à la hauteur des ambitions et enfin sanctuarisé ?

Dans le cadre de la LOPMI, nous allons considérablement renforcer notre réserve opérationnelle. Nous allons ainsi passer d’environ 30 000 à 50 000 réservistes, ce qui est à la fois ambitieux et, à mon sens, tout à fait réaliste. Dès cette année, nous planifions de recruter 3 300 réservistes par an. Cela nous permettra de répondre aux besoins opérationnels croissants, d’abord dans le cadre des Jeux olympiques et plus largement dans le contexte de fortes attentes en sécurité publique. À cet égard, nous allons notamment mettre l’accent sur le cyber, en recrutant de nombreux cyber-réservistes. Bien entendu, le budget va être adapté en conséquence. Je peux d’ores et déjà vous annoncer que nous allons augmenter l’enveloppe par rapport aux années précédentes. Nous prévoyons ainsi 85 millions d’euros en 2023, soit une augmentation de 14 millions. Nous envisageons également d’augmenter le taux d’emploi des réservistes. La plupart d’entre eux ont demandeurs, c’est donc un levier d’attractivité et de fidélisation – et, comme je l’ai dit, les besoins opérationnels sont là. Cela étant, notre efficacité repose aussi sur la manière dont nous nous organisons pour gérer et employer au mieux les effectifs. C’est la raison pour laquelle nous avons créé les Divisions régionales des réserves et les Compagnies d’intervention territoriale dans chaque groupement. Nous travaillons sur des concepts opérationnels innovants, tels que le Gendarme réserviste de proximité et la compagnie de réserve territoriale projetable, dans le but de renforcer notre dispositif au plus près de la population. Si nous faisons tout cela, c’est aussi pour répondre aux aspirations des Français. On l’a constaté à maintes reprises ces dernières années : il y a un vrai désir de s’engager pour le pays, une envie de participer à un effort collectif qui a du sens. Notre devoir est d’y répondre ! Et c’est une manière de renforcer le lien fondamental entre la Gendarmerie et la Nation. J’y suis très attaché, car la réserve est à la fois un pilier de notre modèle militaire et un creuset républicain et patriotique. Grâce à elle, nous renforçons la capacité de mobilisation des Français, nous formons aux savoir-être et aux savoir-faire militaires, tout en transmettant des valeurs essentielles telles que l’engagement, la solidarité, le sens du collectif. En cette période de crise et d’incertitude, nos concitoyens en ont besoin et nous attendent aussi sur ces enjeux.

Le recyclage des EGM tous les deux ans et demi va-t-il être respecté ?
Le contexte opérationnel est très dense depuis plusieurs années : Notre-Dame-des-Landes et autres ZIO (Zones illégalement occupées ndlr), la crise des Gilets jaunes, la pandémie de COVID-19, les tensions Outre-mer, etc. Tout cela a eu un impact fort sur le passage des escadrons à Saint-Astier entre la fin 2018 et 2021, d’où l’effort important réalisé au CNEFG pour rattraper ce retard. C’est crucial pour conserver notre excellence en intervention. D’ores et déjà, nous avons réduit la durée entre deux recyclages pour la ramener à une moyenne entre 30 et 36 mois. En 2022, nous avons organisé un stage pour 44 escadrons. En 2023, 36 escadrons seront concernés.

Quels sont les retours sur le dispositif de gestion des évènements et sera-t-il étendu à tout le territoire ou décliné au cas par cas ?
Par définition, le DGE fonctionne au cas par cas, puisqu’il vise à répondre aux besoins locaux. Il n’y a donc surtout pas de modèle unique qu’il faudrait généraliser ! C’est même tout le contraire, car le DGE est une méthode territorialisée que l’on affine à partir des remontées du terrain. Concrètement, on utilise un algorithme pour évaluer la charge d’activité en matière d’interventions. Puis, avec ces données, on produit une analyse territoriale du juste besoin en patrouilles sur roues. Enfin, si nécessaire, on prend des mesures d’organisation du service pour répondre à ce besoin. Le tout sur un périmètre géographique qui est laissé à l’appréciation des échelons locaux. Donc, l’enjeu réside dans l’organisation locale la plus pertinente possible pour répondre aux besoins de la population. Avec l’objectif de gagner en réactivité, en sécurité et en présence sur la voie publique, tout en ciblant mieux nos efforts. Presque tous les groupements ont validé cette méthode ou poursuivent son expérimentation. Nous aurons bientôt un panorama complet des effets obtenus selon les territoires.

Quels sont vos premiers retours sur le nouveau diplôme d’arme. Ne redoutez-vous pas une baisse du niveau qui va à terme impacter l’efficience de la Gendarmerie nationale dans le maintien de l’ordre ?

Là aussi, il faut avoir le contexte en tête, la hausse des violences, notamment contre les forces de l’ordre. Jamais je n’oublierai nos trois camarades tués à Saint-Just, en décembre 2020… C’est dans ce contexte-là qu’on a créé le nouveau diplôme d’arme pour renforcer la formation au commandement opérationnel, en territoriale comme en mobile. Nous allons l’ouvrir à un plus grand nombre de Gendarmes, avec des sélections rigoureuses, pour créer une culture de l’intervention qui soit commune à tous les gradés de gendarmerie mobile et départementale. On densifie la formation grâce à des séquences de mise en situation concrète dans les domaines du commandement tactique, de l’intervention et du rétablissement de l’ordre. Et au terme de cette formation, le DA donne à chaque gradé le niveau de moniteur en intervention professionnelle. On l’aide à être un vrai meneur d’hommes, avec les qualités morales, physiques et tactiques requises et le sens de l’initiative. Bref, il n’y a pas du tout de perte d’efficience. C’est même tout le contraire, puisque nous renforçons la robustesse et la performance opérationnelle des unités dans la conduite de la manœuvre.

La Gendarmerie, va-t-elle s’impliquer davantage dans la lutte contre l’immigration clandestine aux frontières qui sont pour la plupart en zone Gendarmerie nationale ?

La Gendarmerie participe activement à la lutte contre l’immigration irrégulière, contre la traite des êtres humains et contre les réseaux criminels qui instrumentalisent la détresse humaine pour en tirer profit. C’est là un enjeu important de respect de la loi, mais aussi de souveraineté. À cet égard, nous assumons notre rôle de dissuasion tout autant que de répression, et ce, partout où nous intervenons. D’abord dans la profondeur du territoire national où nous assumons nos missions de contrôle. En fonction des besoins territoriaux (là aussi, nous faisons du “sur-mesure”), nous avons d’ores et déjà mis en place des dispositifs renforcés. Je pense notamment au DGE dédié à lalutte contre l’immigration irrégulière, qui mobilise chaque jour plusieurs dizaines de Gendarmes dans le Pas-de-Calais. C’est aussi valable en Outre-mer, par exemple à Mayotte où nous avons renforcé nos effectifs. Avec le ministre de l’Intérieur, j’étais auxcôtés de nos militaires à l’occasion de la soirée du Nouvel An et j’ai moi-même pu constater le travail important réalisé là-bas, dans des conditions très difficiles, mais avec un véritable impact.

«LES ENJEUX MIGRATOIRES SONT TRÈS IMPORTANTS, NOUS EN SOMMES TOUS CONSCIENTS. C’EST LA RAISON POUR LAQUELLE NOUS RENFORÇONS NOS CAPACITÉS, EN ACTIONNANT UNE PLURALITÉ DE LEVIERS À NOTRE DISPOSITION“.

Il y a aussi la dimension européenne, qui est centrale. La Gendarmerie n’est certes pas une autorité de contrôle et de vérification aux frontières – elle n’a pas la qualité de garde-frontière –, mais elle participe pleinement aux missions de FRONTEX pour la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne. En particulier dans les zones de pression migratoire, qu’il s’agisse des “points d’entrée” tels que les façades maritimes italiennes et espagnoles, ou bien des “points de sortie” comme la façade trans-manche. À cet égard, lors des actions en mer, nous portons évidemment secours aux personnes migrantes en détresse. C’est là un devoir humain, éthique et professionnel. Les enjeux migratoires sont très importants, nous en sommes tous conscients. C’est la raison pour laquelle nous renforçons nos capacités, en actionnant une pluralité de leviers à notre disposition. Nous créons ainsi une chaîne fonctionnelle “100 % Gendarmerie” pour uniformiser et accélérer la formation de nos militaires sur le sujet. Nous mettons en place l’application NEO « @GATE » à destination des primo-intervenants afin d’améliorer les contrôles et les procédures. Cette année, nous allons également dédier 100 réservistes supplémentaires pour atteindre un volume de 250 engagés chaque jour sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord.

Quelles mesures en termes d’effectifs et de moyens supplémentaires envisagez-vous pour la Guyane, département le plus criminogène de France et de surcroît impacté par une immigration clandestine incontrôlableet l’orpaillage illégal ?

Pour les raisons que vous mentionnez, je porte une attention particulière à la Guyane, où il n’est pas acceptable que nos concitoyens subissent de telles situations. D’ores et déjà, nous avons pris une série de premières mesures à l’été 2022, avec un septième escadron projeté à Cayenne et un renfort de plusieurs dizaines d’enquêteurs dans le cadre d’une task force judiciaire. Sur le long terme, nous avons deux lignes d’opération.

Le DGGN en Guyane (Photo Marie-Laure Pezant porte-parole)

D’une part, nous allons continuer de renforcer notre présence sur le terrain. La Guyane va ainsi faire partie des zones prioritaires de déploiement des 200 nouvelles brigades. Comme l’a annoncé le ministre de l’Intérieur, quatre d’entre elles vont y être implantées rapidement. Nous allons également poursuivre la densification des PSIG et renforcer les effectifs de l’OFAST dédiés à la lutte contre le trafic de cocaïne(3). D’autre part, nous continuons d’y renforcer nos équipements et nos moyens matériels, qu’il s’agisse des véhicules, des blindés, des matériels de protection, des équipements informatiques ou bien des caméras piétons. 

Propos recueillis par Didier CHALUMEAU

(1)Lopmi : loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur
(2)Commandement de la Gendarmerie pour les réserves et les jeunesses

(3)OFAST : office anti-stupéfiant