Méconnue en métropole, trop peu médiatisée, et extrêmement âpre, la lutte contre l’orpaillage illégal, avec en particulier l’opération Harpie a été, hélas, marquée par la mort en mission de onze militaires dont deux Gendarmes, l’adjudant Alain Claverie en 2006 et le maréchal des logis-chef (ITA) Arnaud Blanc.
Cette mission spécifique à la Gendarmerie de Guyane mobilise en permanence 270 militaires dont 53 par jour en forêt et est celle qui demande le plus de résilience et de rusticité aux Gendarmes.
La Voix du Gendarme qui s’est rendue en Guyane en mai 2022, publie un reportage consacré à la lutte contre l’orpaillage illégal et l’opération Harpie. (articles extrait du supplément spécial Guyane de juillet 2022 et du dossier Guyane publié en juillet/août 2021)
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La Gendarmerie, engagée dans la mission Harpie, exerce la compétence générale de police judiciaire sur le ressort de la forêt équatoriale qui représente 96 % de la superficie de la Guyane et qui fait partie à 95% du domaine privé de l’État.
La zone orpaillée en Guyane équivaut à la superficie de la Suisse ! Autant dire que les Gendarmes, marsouins et légionnaires de la mission Harpie (9ème RiMa, régiment d’infanterie de marine et 3ème REI, régiment étranger d’infanterie) ont encore du pain sur la planche pour de nombreuses années. D’autant que le cours de l’or est toujours très élevé et que la Guyane est le seul pays d’Amérique du Sud à lutter au quotidien contre ce phénomène précise, pour planter le décor, le lieutenant-colonel Benjamin Soccal, chef du Centre de conduites des opérations (CCO) Harpie.
Pour ce dernier, le sens de l’action de la lutte contre l’orpaillage illégal, “c’est à la fois lutter contre des voleurs, des criminels qui volent l’or français dans le sol français et qui polluent énormément” avec le mercure qui sert à amalgamer l’or.
“On aurait tort de penser que ce sont des pauvres types qui font cela pour vivre, ce sont des délinquants qui détruisent la forêt, lessivent les sols et augmentent la turbidité des fleuves”, martèle l’officier.
On aurait tort de penser que ce sont des pauvres types qui font cela pour vivre, ce sont des délinquants qui détruisent la forêt, lessivent les sols et augmentent la turbidité des fleuves”, martèle l’officier.
De véritables bandes armées
Mais les difficultés sont nombreuses, à commencer par la porosité des interminables frontières fluviales qui favorise l’entrée de la main d’œuvre et de la logistique. De véritables bandes armées composées d’individus prêts à tout, y compris à tuer des Gendarmes, – ce qui est, hélas, une réalité- des militaires ou des rivaux, constituent une réelle menace.
Opération à Saut-Maman Valentin (Photo DC/LVDG) Contrôle à Saut-Maman Valentin avec militaires du 9ème RiMa en protection (Photo DC/LVDG) Destruction d’une infrastructure minière clandestine (Photo Comgend Guyane) Site d’orpaillage (Photo Cpmgend Guyane) Pirogue du 9ème RiMa avec marsouins et Gendarmes à bord sur le fleuve La Mana (Photo DC/LVDG)
Ces bandits, qui n’ont que faire de la protection de l’environnement, bénéficient d’alliés de fait avec les commerçants chinois installés au Surinam, au bord du Maroni, à quelques centaines de mètres de la Guyane.
C’est dans ces comptoirs où l’on trouve de tout, mercure, moteurs, outils, quads, que les “garimpeiros”, à 95% des Brésiliens, se fournissent. Le matériel est ensuite acheminé par des pirogues ou des quads par des logisticiens. Ces derniers, afin d’éviter les deux postes de contrôles routiers (PCR) de Iracoubo (transferé en 2022 à la crique Margot à l’entrée de Saint-Laurent-du-Maroni) et Régina, passent par les fleuves et par la forêt pour rejoindre des sites d’orpaillage, surtout implantés dans l’ouest guyanais, beaucoup plus orpaillé que l’est.
À bord de pirogues surmotorisées et chargées, ils prennent tous les risques, de jour comme de nuit. Ils n’hésitent pas à éperonner des pirogues de militaires et Gendarmes, voire à leur tendre des embuscades, comme à Dorlin le 27 juin 2012, faisant deux morts parmi les marsouins du Commando de recherche et d’action en jungle (CRAJ) et quatre blessés parmi les Gendarmes du GI2G, devenue antenne GIGN.
“Le phénomène est contenu, avec un début de baisse”, confirme le lieutenant-colonel Soccal.
Un dispositif qui s’adapte en permanence
Entre 2002 et 2008, les Gendarmes ont conduit seuls des opérations héliportées, baptisées Anaconda alors que l’opération Harpie, créée en 2008, co-pilotée par le préfet et le procureur, réunit les Gendarmes et les forces armées Guyanaises (FAG) ainsi que d’autres services de l’État, comme les douanes. Le dispositif s’adapte en permanence face à un adversaire particulièrement résilient et dangereux et sur les sept escadrons de gendarmerie mobile déployés en Guyane, deux sont employés exclusivement dans la LCOI. Près de 50 Gendarmes sont ainsi engagés quotidiennement en forêt aux côtés des militaires des FAG disposant pour leur part des hélicoptères de l’armée de l’air.
Les opérations de la LCOI comportent plusieurs modes d’action.
La Gendarmerie engagée dans Harpie exerce la compétence générale de police judiciaire sur le ressort de la forêt équatoriale, c’est à dire 96 % de la Guyane ! Dans chaque patrouille des FAG, il y a des Gendarmes assurant les fonctions de directeur opérationnel et directeur d’enquête. Outre un dispositif permanent de contrôle des points de passage obligé pour la logistique des orpailleurs illégaux sur les pistes et les fleuves, les Gendarmes, conduisent des opérations dynamiques, aéromobiles, fluviales ou pédestres, dans les bassins aurifères afin de découvrir les zones de travail et de vie des orpailleurs, pour saisir ou détruire leurs outils de travail, mais aussi leurs lieux de confort et de vie. En 2020, à titre d’exemple, ce sont ainsi 1172 motopompes qui ont été détruites! En plus des investigations judiciaires qu’ils sont les seuls à conduire avec des OPJ, les Gendarmes guyanais disposent de prérogatives dans le domaine de la police administrative avec une instruction permanente du préfet de la Guyane pour démanteler les installations illégales d’exploitation ou de vie sur le domaine privé de l’État.
Le CCO, centre névralgique de la lutte contre l’orpaillage illégal
Le Centre de conduite des opérations (CCO) est le cœur du réacteur de la lutte contre l’orpaillage.
C’est le saint des saints de la lutte contre l’orpaillage, plus communément appelée en Guyane la LCOI. Rien de ce qui concerne cette lutte incessante contre les “garimpeiros” n’échappe pas aux militaires de ce centre opérationnel unique en France.
Co-localisé avec l’état-major des forces armées en Guyane, dans un bâtiment du camp du Tigre jouxtant la caserne de la Madeleine abritant le COMGEND, c’est dans ces murs que sont actées les manœuvres d’actions tactiques menées avec les forces armées, mais également en totale autonomie. C’est aussi là que sont déclinées sur le terrain les nouvelles stratégies mises en place par le comité de pilotage stratégique de la lutte contre l’orpaillage illégal.
Présidé par le procureur de la République et le préfet, ce comité se réunit tous les six mois pour définir les grands axes d’action pour les mois à venir.
Créé par décret en 2013, ce centre opérationnel est armé par douze Gendarmes départementaux renforcés par quatre Gendarmes mobiles. Sous la houlette du lieutenant-colonel Benjamin Soccal, ancien professeur d’ordre public à l’EOGN, issu du recrutement officier de réserve (armée de l’air), et ayant commandé un peloton d’intervention (Arras), et un EGM (Hirson), des Gendarmes travaillent dans une unité structurée sur le modèle d’un état-major Otan avec néanmoins quelques différences. La fonction planification (J3) est ainsi jumelée avec celle de la conduite des opérations (5) et c’est le commandant en second du CCO, le lieutenant-colonel Jean-Paul Azevedo qui est chef de cette section J35. Celle-ci mobilise un officier adjoint, un sous-officier supérieur, et trois Gendarmes mobiles en mission de courte durée, dont un chargé du vecteur aérien et un officier qui fait le lien avec les Gendarmes mobiles.
Jean-Paul de Azevedo, qui a aussi la main sur les quatre détachements d’intervention orpaillage (DIO), n’a pas été choisi au hasard. Ancien gradé en unité de recherches, ce lusophone a occupé les fonctions d’attaché de sécurité intérieur adjoint au Brésil avant de commander pendant trois ans la compagnie de Cannes (06).