Alors que l’Inspection générale de la Gendarmerie dans son rapport 2020 cite en exemple l’usage inadapté des réseaux sociaux par des Gendarmes parmi les manquements déontologiques, un lecteur nous adresse une tribune dans laquelle il nous livre sa vision d’une certaine utilisation des réseaux par des Gendarmes.
Tribune de Ulysse Guillaume
L’agitation permanente sur les réseaux sociaux par un nombre de plus en plus croissant de gendarmes, officiers comme sous-officiers, est-elle le signe d’un malaise interne de reconnaissance ? Si l’on en croit l’autosatisfaction permanente des uns et des autres sur les réseaux, se glorifiant personnellement ou glorifiant leur chef, on est en droit de se poser la question de la recherche presque obsessionnelle de l’attention sur sa propre personne. D’aucuns diront que ce phénomène est une constante contemporaine pour se dédouaner. D’autres répondront simplement que pour être remarqué aujourd’hui il ne suffit plus de savoir faire, mais de faire savoir. Les plus pessimistes concluront que la simple communication personnelle, maladroitement déguisée, est devenue le seul salut pour celui qui veut faire carrière.
La visibilité sur les réseaux sociaux s’effectue à plusieurs niveaux sur différentes plateformes. La confusion entre vie publique et vie privée et donc l’expression du dépositaire d’une autorité et le citoyen se confondent souvent. C’est le premier problème. Combien de comptes Twitter par exemple se présentent sous la forme d’un “compte personnel” précisant tout de même la fonction militaire exercée et le compte institutionnel de rattachement avec une photo évidemment en tenue. Qui s’exprime sur ce compte ? Monsieur X, le colonel X ? Cet alignement nuit à la figure de l’autorité et à son exercice. Il conduit en interne à une manifestation numérique des humeurs parfois personnelles du chef, à une forme de copinage numérique, à la mise en scène d’un chef virtuellement sympa qui suit les tendances et surtout affirme, ad nauseam, son allégeance à la pensée commune. Il suffira de faire le tour de certains comptes pour s’en faire une idée. On pourra également s’étonner du nombre journalier de posts sur les différents supports. Le temps consacré sur les réseaux sociaux se fait forcément au détriment du travail de fond, moins visible.
C’est que l’attention portée par les décideurs a suivi la même tendance de virtualisation de la pensée et donc de l’action. Il faut impressionner, se faire remarquer, faire des “coups”.
Pour capter l’attention, un tweet ou un Tchap valent mieux qu’un compte-rendu suivant la voie hiérarchique. Une communication tendance vaut parfois une action de fond moins évidente. Le dire numérique remplace le faire tactique.
À cette fin, il faut comprendre que les grands chefs suivent la tendance numérique qu’ils organisent eux-mêmes en favorisant la dispersion des efforts de communication et en jouant le jeu du lien direct numérique. Pour capter l’attention, un tweet ou un Tchap valent mieux qu’un compte-rendu suivant la voie hiérarchique. Une communication tendance vaut parfois une action de fond moins évidente. Le dire numérique remplace le faire tactique. En virtualisant ainsi les rapports, il est plus simple de faire illusion à moindre effort, avec un retour rapide et à tous les échelons.
Se voir gratifier d’un like ou d’un commentaire forcément laudateur est devenu la récompense publique recherchée.
Se voir gratifier d’un like ou d’un commentaire forcément laudateur est devenu la récompense publique recherchée. L’agilité est portée à son apogée : elle est devenue instantanée en évitant l’analyse et l’introspection. Encore faut-il ne pas contrarier la pensée dominante ou ne pas heurter l’égo de son supérieur dans ce jeu dangereux. Le débat d’idée ou le dialogue restent ainsi limités au superficiel. La bienveillance trouve ses limites dans les susceptibilités et les rivalités.
Une perte de sens collectif
Les plus cyniques diront que le phénomène de cour et les coteries associées se sont transformés en envahissant le numérique. Ce n’est pas faux. Le problème réside dans le sacrifice du savoir-faire de terrain sur l’autel du faire savoir individuel forcément égocentrique. Cette tendance conduit également à rendre superficielle une reconnaissance facilement obtenue, presque sans effort. Elle amoindrit le mérite de ceux qui réussissent sans forcément s’autopromouvoir. Au final elles participent à une perte du sens collectif et au développement d’un état d’esprit néfaste à long terme.
Si l’on peut trouver un avantage à cette nouvelle forme de servage numérique, c’est celui d’identifier les castes, les sponsors, les filiations qui expliquent en filigrane certains profils de carrière ou dynamiques internes. Un sponsor ostensible d’untel, réserviste citoyen influent, ou d’untel, officier à très haut potentiel devient une forme de cotation. On peut ainsi, de manière assez facile, se faire une idée assez précise des allégeances et en faire une cartographie. Les chercheurs d’avenir n’auront donc pas de mal à comprendre les satellites à suivre pour se rapprocher du présent soleil. Attention tout de même à l’émergence d’une bulle spéculative portant certains aux responsabilités. Toute spéculation s’expose à un effondrement brutal dont les conséquences sont lourdes. La superficialité de l’égarement actuel sera portée par tous ceux qui servent l’Institution, mais surtout par l’ensemble des Français.