Le colonel (ER) de Gendarmerie Philippe Cholous, connaît bien l’Afghanistan pour y avoir servi d’août 2013 à août 2015 comme conseiller du général de division Zamaraï Païkan commandant la police nationale afghane d’ordre public (ANCOP).
Il a d’ailleurs couché ses souvenirs dans un livre intitulé “Deux ans dans les pas de Zamarai Paikan, général et héros afghan”.
Pour la Voix du Gendarme dont il est conseiller, cette figure de la mobile nous livre son témoignage.
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Afghanistan 2021 : ce que je sais
Faisant visuellement et anachroniquement écho aux images de triste mémoire de la chute de Saïgon en 1975, celles de la chute de Kaboul en 2021 ébranlent les certitudes de l’Occident, ou à tout le moins de ses opinions publiques. Dès lors, fusent de très nombreux commentaires, peu autorisés et essentiellement fondés sur l’émotion, qui accréditent certaines contrevérités et alimentent un défaitisme et une détestation de soi, également détestables et déraisonnables.
Bien que connaissant mieux ce pays et ce conflit que beaucoup, pour avoir été inséré deux années dans les forces de contre-insurrection afghane, je n’ai aucunement la prétention de tirer des enseignements exhaustifs d’événements aussi récents, que complexes. En revanche et afin de contribuer humblement à la réflexion de chacun, il m’importe de clarifier un certain nombre de points qui méritent impérativement de l’être, s’agissant d’une part de la situation, d’autre part de l’engagement des forces armées françaises en général et de la Gendarmerie en particulier.
En premier lieu, si l’on pense avoir tout compris de l’Afghanistan, c’est que l’on n’y a pas compris grand-chose, tant ce pays est géographiquement, ethniquement et religieusement extraordinairement complexe. Dès lors, tout jugement définitif, péremptoire ou lapidaire est illusoire.
Prenant acte de cette complexité objective, il convient avant tout de se fonder sur autant d’analyses méthodiques et objectives de faits incontestables, par nature peu nombreux. Point par point, quelles sont-elles ?
Les forces gouvernementales afghanes ont dans leur immense majorité déposé les armes. Ce faisant Kaboul est tombé en 2 semaines là ou les planificateurs les plus pessimistes estimaient à 2 mois une possible chute. Il s’agit bien évidemment d’une amère surprise et donc d’une déception, sans qu’il soit pour autant utile de porter un jugement moral sur cette dernière, tant il est vrai que ce peuple et son armée sont durement éprouvés depuis 1979.
La question du rapatriement des Afghans ayant réellement aidé les forces françaises, a été très tôt et très sérieusement étudiée au cas par cas par le ministère des affaires étrangères et la mission de défense, et instruite en conscience, dossier après dossier. Il est donc faux de dire que la France abandonna ses anciens auxiliaires et le parallèle souvent établi avec la question des harkis ne revêt guère de sens. Il a quelque chose de stupide et d’abject. Il est vrai que l’entrée brutale des talibans dans Kaboul peut entraîner, ce qu’à Dieu ne plaise, des représailles et des règlements de compte. Cela étant, la France n’ayant peu ou plus de troupes sur zone et aucunement les moyens de s’assurer dans l’urgence et sous la pression, de la légitimité des demandes, ni d’éventuelles conséquences sécuritaires pour le territoire national, notre pays pare au plus pressé et fait au mieux.
L’engagement des occidentaux en Afghanistan, dont il ne m’appartient pas ici de juger de la légitimité initiale, constitue in fine un échec politique, mais paradoxalement un succès militaire ;
L’engagement international a donc été in fine un clair échec politique, puisque nos pays ont défini comme préalable au retrait, des objectifs “jeffersoniens” fort éloignés des réalités afghanes et donc par nature inatteignables, d’autant que le rôle trouble du voisin pakistanais reste à évaluer. Il s’en est suivi une présence de 20 ans. Or chacun sait qu’au-delà d’une dizaine d’années, toute forme de présence militaire, fut-elle amicale, est mécaniquement perçue comme une occupation par les populations. C’est à cause de cette perception que les talibans, un temps très discrédités, se sont refait une légitimité inattendue ;
D’un point de vue militaire, le terrain a été conquis et tenu, l’ennemi fut dans un premier temps chassé et lorsque nécessaire détruit dans le cadre du droit. Les forces occidentales n’ont connu aucune défaite. A titre d’exemple, l’embuscade d’Uzbin de très triste mémoire, qui ne saurait être qualifiée de bataille, a fait beaucoup plus de pertes chez l’ennemi que dans nos rangs. Toutes les épreuves de force, à l’image de la bataille d’Alasay, ont tourné en notre faveur.
Les militaires français peuvent et doivent être fiers de la mission accomplie.
Les forces occidentales, se sont retirées en bon ordre, comme d’ailleurs le firent jadis les forces russes. Ces deux engagements internationaux ne sont en rien comparables aux cuisantes défaites connues au XIXème siècles par l’armée britannique et servant encore trop souvent de référence. Parler de défaite est une insulte faite aux militaires morts et blessés pour la France en Afghanistan.
Les forces armées françaises ont rempli leur mission de façon exemplaire, avec efficacité, humanité et dans le respect du droit. Dans ce cadre, la Gendarmerie a fait un travail exceptionnel, démontrant une valeur militaire haute et intacte, aux côtés des autres armées et de nos frères afghans.
Les forces armées françaises ont rempli leur mission de façon exemplaire, avec efficacité, humanité et dans le respect du droit. Dans ce cadre, la Gendarmerie a fait un travail exceptionnel, démontrant une valeur militaire haute et intacte, aux côtés des autres armées et de nos frères afghans.
Au final, je ne puis dire si l’engagement international a été ou non, justifié. Je ne saurais parler de l’avenir car assurément, le plus dur commence pour les talibans. En revanche, ce que je tiens à exprimer avec certitude pour l’avoir vu et vécu, c’est que les militaires français y ayant servi, terriens, marins, aviateurs et Gendarmes, peuvent et doivent être fiers de la mission accomplie. Leur engagement au combat n’a pas à être minoré par “ceux de l’arrière”. Ils ont été exemplaires, et pour partie héroïques. Ils méritent la pleine reconnaissance et estime de la Patrie.