Livre blanc sur la sécurité intérieure : la mise en garde du général Roland Gilles au ministre de l’Intérieur

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Le général Roland Gilles salue les porte-drapeaux au congrès de l'UNPRG en 2018 (Photo UNPRG)

Le général d’armée Roland Gilles, ancien Directeur général de la Gendarmerie, et président d’honneur de l’UNPRG, dont la Voix du Gendarme est le partenaire, réagit dans une longue tribune publiée sur sa page Facebook à l’interview du ministre de l’Intérieur dans le Parisien au sujet du Livre blanc de la sécurité intérieure qui doit être présenté dans les jours prochains.

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Le général Roland Gilles avec l’ancien président national Henri Martinez (Photo UNPRG)

Monsieur le ministre, ne vous trompez-pas de combat, ayez une vraie ambition !

A quelques heures de la mise en ligne d’un nouveau Livre blanc sur la sécurité, l’interview du ministre de l’Intérieur au Parisien laisse entrevoir aux observateurs avertis plus de questionnements que d’espérances. Deux sujets particuliers ont retenu l’attention : la départementalisation de la Police nationale et la répartition du territoire entre la Police et la Gendarmerie. Le placement sous l’autorité d’un seul responsable, dans chaque département, des services de police en charge de la sécurité publique (les patrouilles sur le terrain), de la police judiciaire et de la police aux frontières (quand il y a lieu) est cohérent.

Un chef, une mission, des moyens, voilà un principe qui a fait ses preuves !

Il est au demeurant depuis toujours celui qui prévaut au sein de la Gendarmerie. Bien plus délicate est la question du partage de la responsabilité de la sécurité publique sur le territoire entre la Police et la Gendarmerie, deux forces héritées de l’histoire, ancrées dans le paysage sécuritaire pour nos concitoyens et nos élus. Le critère de densité de population veut que la première ait en charge la sécurisation des cœurs urbains, la seconde les périphéries et la profondeur du territoire. Il n’est pas exact de dire que le chantier est nouveau et que des décennies ont passé sans que les réflexions n’aient été menées et des décisions prises pour tenter de trouver le bon équilibre.

Les échanges de communes entre les deux forces ont été opérés épisodiquement pour considérer, plus ou moins, les évolutions démographiques à la périphérie des villes et dans le territoire. Le résultat n’est jamais très convaincant et les gains, quand il y en a, marginaux.

La dernière campagne d’échanges, conduite il y a une décennie pour 47 communes, laisse perplexe et je n’observe pas que des enseignements pertinents en aient été tirés. Si le constat de l’urbanisation croissante des communes périphériques est juste, la réponse consistant à changer le képi pour la casquette est grandement sujette à caution : puisque l’agglomération de Toulouse est citée par le ministre, demandons au maire de Blagnac s’il est satisfait d’être passé en “zone police », lui dont le prédécesseur demandait il y a peu au préfet de Haute-Garonne le retour des gendarmes afin de voir des uniformes dans la rue.

Casser quelques codes qui peuvent être dogmatiques, catégoriels, syndicaux

Vouloir étendre la zone police dans chaque grande agglomération suppose l’affectation d’effectifs nouveaux que le ministère ne pourra pas trouver en nombre ; chaque responsable averti des modalités de fonctionnement des forces le sait intimement. Sauf à changer les codes. Or, justement, nous ne sommes plus dans le contexte désormais ancien où le critère de la densité de population résidente prévalait pour responsabiliser telle ou telle force. Deux constats l’attestent. D’une part, la population est mobile, les délinquants sont mobiles et les bassins de délinquance dépassent largement le périmètre des agglomérations. Cambrioleurs, trafiquants et consommateurs de drogue se déplacent, loin s’il le faut. D’autre part, les priorités sécuritaires changent : aujourd’hui, deux d’entre elles menacent l’unité même de notre pays, le terrorisme islamiste assis sur le communautarisme et les trafics de drogue.

En termes d’organisation de la sécurité, il est donc temps de casser quelques codes qui peuvent être dogmatiques, catégoriels, syndicaux … et se montrer ambitieux pour nos concitoyens et les élus locaux qui les représentent.

Le critère du seuil de densité démographique est dépassé (qui se traduit dans l’article du Parisien par la distinction du “rural » aux gendarmes et de “ l’urbain » aux policiers). Le critère pertinent est devenu celui du seuil géographique de fracture sécuritaire : où l’équilibre à cet égard est-il en danger ?

Au critère du volume d’effectifs appliqué à une zone, il faut substituer celui de la performance et se poser, avant toute décision, la question pratique, opérationnelle, du nombre de patrouilles de jour, de nuit réellement déployées au quotidien, des modalités d’intervention, des réserves disponibles. Un audit à huis clos des maires concernés par les échanges de forces depuis vingt ans serait assurément édifiant. En outre, il faut cesser de considérer les effectifs de Police et de Gendarmerie comme des agents économiques concourant à l’aménagement du territoire. Agir. Deux grands principes d’action s’additionnent pour “conduire la guerre » : l’économie des forces et la concentration des efforts. Ils ont leur place dans la réflexion du moment. Au nom du second, il est judicieux de vouloir coordonner toujours mieux l’action de la Police et de la Gendarmerie (services de renseignement, judiciaires, lutte anti-terroriste, cybercriminalité …), en veillant à une juste place, motivante, des uns et des autres. S’agissant du partage du territoire, croiser les critères nouveaux définis et les principes d’action conduit, non pas à “chipoter » en essayant d’agréger ici ou là quelques communes et de déplacer quelques effectifs, mais à manœuvrer réellement les moyens pour l’avenir. A la police de s’interroger sur ses territoires à “fracture sécuritaire » et d’y concentrer des moyens humains issus de ses zones de responsabilité encore non fracturées. Concrètement, il s’agit pour elle d’affecter dans les quartiers dits de reconquête républicaine des policiers expérimentés venus de villes moyennes moins exposées et de reprendre le contrôle de zones perdues.

À la Gendarmerie de se voir attribuer des départements entiers

A la Gendarmerie de se voir attribuer la sécurité de départements entiers (incluant bien sûr la ville chef-lieu, y compris avec des quartiers sensibles dits “quartiers politique de la ville” (QPV) dont elle saura, pour l’avoir déjà fait, cocher toutes les cases de la lutte contre la criminalité et la délinquance ; il ne s’agira pas pour autant de démanteler les services de renseignement territorial existants (surtout ne pas réitérer le préjudiciable démantèlement des renseignements généraux décidé par le président Sarkozy en 2008). Les effectifs nécessaires seront issus pour partie de redéploiements autour de quelques grandes plaques urbaines et des gains de performance. Pour être techniquement utiles, psychologiquement acceptables et politiquement crédibles, ces transferts devront inclure des départements aux aspects sécuritaires sensibles.

Etre au rendez-vous des enjeux du temps présent appelle une vraie ambition nationale qui exclut de se perdre dans de petites comptabilités locales dont il n’y a que peu à attendre

3 Commentaires

  1. j’ai eu l’honneur de commander le groupement de GD du Rhône de 1986 à 1989. A l’époque la gendarmerie avait compétence sur des communes suburbaines très chargées dont elle assurait la sécurité avec des brigades dont l’effectif se situait entre 13 et 20 militaires. Une de ces communes avait d’ailleurs été prise en exemple dans la presse : Rillieux-La-Pape, pour montrer le savoir-faire de l’Arme dans une zone sensible où se côtoyait une trentaine de nationalités. La brigade, commandée par un major, travaillait en parfaite coopération avec une police municipale dynamique représentative des différentes ethnies et en liaison permanente avec un maire, ancien résistant , monsieur Marcel André . Alors que les banlieues lyonnaises connaissaient de fréquentes manifestations violentes-on se souvient des Minguettes-Celles tenues par la gendarmerie vivaient un calme précaire mais réel. Le secret: le temps de réaction très court à chaque évènement et l’implantation de l’unité en plein centre ville, au milieu d’une population pour laquelle les militaires assuraient des services « complémentaires » comme par exemple la rédaction de courrier, d’imprimés administratifs ou une conciliation avec les enfants turbulents. Les militaires de cette unité avait su créer un climat de confiance indispensable .Quand il s’est agi de transférer ces compétences à la police nationale cette dernière a estimé qu’il lui fallait un effectif triple de celui de la brigade pour remplir les mêmes missions. A l’époque également, le Préfet n’hésitait pas à autoriser l’emploi de VBRG de la GM dès lors que la situation le justifiait . Aujourd’hui on voit que les banlieues lyonnaises connaissent des épisodes d’une grande violence . A Rillieux -La-Pape on a noté la présence d’Islamistes radicalisés qui voulaient imposer leurs règles notamment aux musulmanes. Ce genre de comportement doit être étouffè dans l’oeuf pour rester contrôlable.

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