La militarité de la Gendarmerie est un sujet aussi récurrent que fondamental qui a déjà fait l’objet de nombreux écrits, dont certains ont fait date. Directeur général de l’Arme depuis novembre 2019, le général d’armée Christian Rodriguez, issu de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr et fils et frère de Gendarme répond à La Voix du Gendarme sur ce thème. Une interview riche, dense, et des réponses claires!
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LVDG : Un galon d’honneur de Gendarme créé, le drapeau national sur la manche des Gendarmes, rétablissement du recrutement des officiers des armées, un guide du commandement et de l’autorité diffusé aux Gendarmes : au delà des symboles, une réappropriation de la militarité est constatée. Est-ce une volonté forte de votre part ou une impression ?
DGGN : Alors que certains craignaient la disparition de son statut de force armée lors de son rattachement au ministère de l’Intérieur, la loi du 3 août 2009 relative à la Gendarmerie nationale a au contraire consolidé ce statut et confirmé l’étendue de ses missions, tant civiles que militaires. La Gendarmerie y est précisément définie comme “une force armée instituée pour veiller à l’exécution des lois”.
Son caractère militaire est le fondement même de notre institution. C’est autour de ce caractère militaire qu’est défini notre modèle d’arme tout entier : l’organisation de notre structure, notre formation, nos parcours de carrière et surtout, nos valeurs. Un principe est immuable : nous sommes des militaires ! Alors oui, la Gendarmerie assume fièrement son héritage et le consolide.
La création d’un galon d’honneur de gendarme, la décision d’attribuer un emblème à chaque groupement de Gendarmerie ou les commémorations du tricentenaire de nos brigades territoriales et du centenaire de la gendarmerie mobile, sont plus que des symboles. Ils nous permettent de nous retrouver autour de valeurs communes et de proclamer notre identité de gendarmes.
Ce que nous revendiquons, c’est une Gendarmerie fière, incarnée, enracinée, forte de ses valeurs et de son éthique. Non pas pour en faire une Gendarmerie nombriliste et auto-satisfaite, mais pour être pleinement et efficacement au service de la France et des Français, pour #RépondrePrésent à leurs attentes. C’est dans cet objectif que nous avons diffusé dans les unités un livret “d’Orientations générales pour l’action de la Gendarmerie” et un autre sur “le Commandement et de l’autorité”. Ces documents cadres, dans lesquels les valeurs et principes fondateurs sont rassemblés, sont conçus comme des boussoles auxquels chacun est invité à se référer.
LVDG : Aviez vous constaté un recul de la militarité au sein de l’Arme et si oui, plus dans la GD ou la GM et avec quelles conséquences ?
DGGN : La réflexion – ni la question – ne peuvent se poser en ces termes. Les gendarmes, de tous corps et de tous grades, ont tous été formés dans un creuset militaire. Ils sont, par principe et dans leur immense majorité, attachés à cet état militaire. Il fait partie intégrante de ce que nous sommes, sans même parfois que nous en ayons conscience. Le gendarme est un militaire, un militaire qui a son identité propre de gendarme et qui vit sa vocation et son état militaire en gendarme.
Le gendarme est un militaire, un militaire qui a son identité propre de gendarme et qui vit sa vocation et son état militaire en gendarme. On ne pose pas la question à un fantassin, un aviateur ou un marin du recul ou non de sa militarité et la manière dont elle se vit.
On ne pose pas la question à un fantassin, un aviateur ou un marin du recul ou non de sa militarité et la manière dont elle se vit.
En revanche, notre institution est inévitablement concernée par les mutations de la société au sein de laquelle elle évolue. Nos valeurs militaires sont confrontées à des valeurs montantes contradictoires : individualisme, communautarisme, matérialisme ou hédonisme. C’est un phénomène que l’on retrouve en Gendarmerie, comme dans l’ensemble des forces armées. Et de fait, l’immersion du gendarme dans la société et son service, qui a une orientation et une vocation particulière dans la communauté militaire, le rendent sans aucun doute plus ouvert, parfois plus perméable, à certaines évolutions.
Notre identité militaire, et les valeurs d’engagement, de dévouement et de rigueur morale qui en découlent, doivent ainsi être en permanence valorisées et renforcées pour faire face aux évolutions de la société. Car cette identité militaire est garante de notre efficacité au service de la population et de notre légitimité à ses yeux.
LVDG : En tant qu’officier de Gendarmerie, Saint-Cyrien et fils et frère de Gendarme, quelle est votre vision personnelle de la militarité et comment doit elle se traduire au quotidien au sein de la Gendarmerie ?
DGGN : Pour moi, la vocation militaire, c’est avant tout un état d’esprit et des valeurs communes partagées : disponibilité, adaptabilité, réactivité sens de la mission et du devoir, robustesse, force maîtrisée, loyauté, exemplarité, éthique, déontologie, cohésion et résilience, pour ne citer qu’elles. Ce sont ces valeurs qui nous lient et nous poussent à nous dépasser et à faire bloc pour affronter l’adversité.
Les crises ont d’ailleurs révélé à quel point elles étaient déterminantes à la réussite de la mission. Pour preuve, l’engagement exceptionnel dont ont fait preuve nos gendarmes au plus fort du confinement au printemps 2020. Malgré les contraintes sanitaires et familiales, ce sont au moins 60 000 personnels quotidiennement qui se sont mobilisés pour protéger et aider nos concitoyens. Ils ont en outre déployé une ingéniosité incroyable pour résoudre les difficultés nouvelles auxquelles ils étaient confrontés.
J’en suis convaincu, nous devons cultiver nos valeurs. Individuellement d’abord, dans notre manière de servir, dans notre rapport à la population comme dans nos relations entre camarades. C’est cette somme d’individualités qui fait la force de notre collectif. La dimension collective est essentielle. Pour le bien du service et l’accomplissement de la mission, nous devons savoir faire passer l’intérêt collectif avant tout. Et cet intérêt collectif n’est pas la somme des intérêts individuels. C’est le sens que je veux donner aux cérémonies et commémorations. On parle de symboles militaires, et c’est bien cela. Dans sa racine grecque, le mot symbole désigne ce qui réunit, qui “met ensemble”… Ce sont donc des repères, des moments de recueillement et de grande cohésion mais aussi des occasions de réfléchir sur le sens de notre engagement. Nous puisons dans ces moments l’énergie nécessaire pour répondre présent et, par l’action du gendarme, protéger la population et les territoires en leur étant utile.
LVDG : Selon vous, le statut militaire et la militarité sont-ils, au delà de la seule disponibilité et de l’aptitude à servir en tous lieux et en tous temps, des gages de davantage d’efficacité et de loyauté ?
DGGN : Le Code de la défense dispose que l’état militaire, auquel les gendarmes sont soumis, “exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité”. C’est beaucoup d’exigence et de devoirs pour chacun de nous, mais cela confère indéniablement de nombreux atouts opérationnels.
D’abord, la singularité du statut militaire garantit réactivité et efficacité. Avec le volume de son personnel d’active et une réserve de 30 000 militaires – demain 50 000 –, la Gendarmerie bénéficie d’une capacité opérationnelle exceptionnelle au moyen d’une montée en puissance rapide, massive et modulable.
Ensuite, l’architecture organique et opérationnelle de la Gendarmerie, qui cherche à tirer le meilleur de sa structure et de sa culture militaire, permet la plénitude des responsabilités territoriales et la déconcentration des pouvoirs des chefs, plutôt que le silotage thématique des responsabilités. C’est le principe : “un chef, une mission, des moyens” qui constitue notre force. Parce que les crises successives ont confirmé la pertinence de cette organisation, nous avons créé un centre national des opérations (CNO) ; une structure nationale permanente de planification et de conduite d’opérations dotée de capacités d’anticipation, de remontée d’informations et de projection. Mais cette grande verticalité assumée dans les instructions générales et le pilotage se conjugue, heureusement, avec une grande horizontalité dans l’autonomie et la part d’appréciation laissées aux échelons locaux. De fait, l’initiative dans l’action n’est-elle pas la forme la plus aboutie de la discipline ?
Le statut militaire des gendarmes apporte en outre des garanties capacitaires essentielles en situation de crise, grâce à un soutien intégré performant et réactif et à sa capacité de vie en autonomie. La crise pandémique a d’ailleurs prouvé l’utilité et la valeur de notre chaîne de soutien, qui a garanti l’acheminement des matériels indispensables jusque dans la profondeur des territoires.
Enfin, l’étendue et la cohérence du maillage territorial de la Gendarmerie contribuent à la proximité et à l’égalité des territoires et des citoyens devant le service public de sécurité. Privée de son caractère militaire et du logement concédé par nécessité absolue de service qui donne une matérialité à la disponibilité prévue par le statut, la Gendarmerie ne pourrait se maintenir durablement dans certaines zones désertées et ne pourrait par conséquent plus assurer avec la même efficacité la sécurité des 95% du territoire dont elle a la responsabilité. Moins proche, elle serait en outre moins disponible, sauf à voir ses effectifs considérablement augmenter. Les atouts de cette proximité se sont illustrés par exemple lors du passage de la tempête “Alex”, lorsque les militaires de Saint-Martin-Vésubie ont rapidement porté secours aux habitants, alors même que leur brigade venait d’être emportée par les eaux et que les voies de communication étaient coupées.
Disposer d’une force à la fois proche de la police et des armées est donc un atout indéniable pour la Nation dans le continuum défense-sécurité. Dans les situations de crise de moyenne ou de haute intensité qui ne sont plus policières mais pas encore militaires, la Gendarmerie est un atout précieux évitant de recourir à l’engagement des armées sur le territoire national.
LVDG : Vous avez des rencontres régulières avec le chef d’état-major de l’armée de Terre qui était présent à Ambert pour l’hommage aux trois Gendarmes tués à Saint-Just et vous étiez présents à Verdun pour l’hommage aux trois soldats du 1er régiment de chasseurs tués au Mali. Ce rapprochement avec l’armée de Terre préfigure t-il au delà de la collaboration habituelle des interactions ou des synergies, voire des formations communes?
DGGN : Les liens entre la Gendarmerie nationale et les Armées sont historiquement très forts. Notre présence croisée aux hommages de nos militaires morts pour la France constitue donc une évidence, comme un lien fraternel qu’il n’est pas besoin de définir, puisqu’il est instinctif.
Au-delà de ce lien, les recherches de synergies, en particulier avec l’armée de Terre, s’avèrent indispensables. C’est le cas par exemple dans les départements d’outre-mer où les moyens sont comptés et où la singularité des engagements appelle à regrouper des savoir-faire tactiques et judiciaires, comme pour la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane. C’est plus encore vrai dans des situations d’urgence et de crise ; notre statut nous permettant un engagement massif sous court préavis, aux côtés de nos camarades des Armées. L’illustration emblématique de cette synergie et de cette interopérabilité est l’engagement de la gendarmerie lors du passage du cyclone Irma aux Antilles en 2017. Plus anecdotiquement, la mission confiée à un hélicoptère de la Gendarmerie embarqué l’an passé sur le porte-hélicoptères amphibie Dixmude dans le cadre de l’opération militaire Résilience, en plein confinement au profit des Antilles, souligne cette aptitude. Au-delà, sur le territoire national, les grands événements nous donnent également l’occasion de coopérer.
Nos savoir-être et savoir-faire militaires partagés jouent un rôle précieux dans notre bonne coopération sur le terrain. Mais ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est que cette interopérabilité ne se décrète pas. Elle est la traduction d’une culture commune qui s’acquiert et s’entretient. Pour renforcer la coopération opérationnelle entre la gendarmerie et l’armée de Terre, un accord de coopération, qui est en cours de refonte, a d’ailleurs été signé en mai 2018.
Cela passe notamment par le recrutement au sein de la Gendarmerie d’officiers issus des grandes écoles militaires, ou d’officiers des armées un peu plus tard dans la carrière, et de sous-officiers, au terme de leur contrat ou en cours de carrière. S’agissant de la formation, l’acquisition des savoir-faire et valeurs militaires ainsi que l’aguerrissement tiennent une place centrale dans nos programmes. La mutualisation de blocs dans les formations initiales et continues est également gage de réussite. À titre d’exemple, les militaires du corps de soutien technique et administratif de la Gendarmerie bénéficient d’une formation complémentaire à l’école du Génie ; les élèves de l’EOGN réalisent leur formation tactique aux écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan ; plus tard dans leur carrière, sur concours, certains officiers rejoignent les rangs de l’école de guerre ; les membres du GIGN profitent de nombreuses formations interarmées et sont interopérables avec le commandement des opérations spéciales ; les exemples sont encore nombreux.
Un mémento tactique conjoint Gendarmerie – armée de terre a en outre été produit pour faciliter l’interopérabilité dans un contexte opérationnel.
L’expertise de l’armée de Terre pour la formation des PSIG
Le retour d’expérience de l’intervention du 22 décembre dernier à Saint-Just, au cours de laquelle trois des nôtres ont perdu la vie, a révélé que nous devions travailler à une meilleure préparation à l’engagement de nos gendarmes. L’imprévisibilité et la violence des interventions imposent en effet que tous nos militaires soient préparés à y faire face. C’est pourquoi j’ai décidé de rénover la formation tactique au sein de la Gendarmerie, en commençant dans un premier temps par les PSIG. Nous allons, dans ce but, solliciter l’expertise de l’armée de Terre, bâtie “sous le feu” des opérations extérieures. C’est un point que j’ai évoqué avec le chef d’état-major de l’armée de Terre et sur lequel nous allons désormais aborder la déclinaison concrète.
Enfin, je voudrais rappeler que la Gendarmerie a un contrat opérationnel avec les armées pour les engagements en opérations extérieures, essentiellement au travers des détachements prévôtaux, éventuellement par la mise à disposition d’autres capacités, comme celles de la gendarmerie mobile. Cette interopérabilité dans les engagements militaires extérieurs constitue sans doute le stade ultime de notre coopération.