Après les policiers nationaux, les douaniers, et l’administration pénitentiaire, une police municipale, celle de Nice, va participer au défilé militaire du 14 juillet à Paris. Le colonel (ER) Philippe Cholous, conseiller de la Voix du Gendarme y voit dans une tribune une “perte de sens”.
Que nous dit l’évolution du défilé du 14 juillet sinon une perte de sens.
Le 14 juillet prochain défileront aux côtés des militaires des forces armées, les agents de la police municipale de Nice ayant neutralisé le 29 octobre 2020 le terroriste qui venait de semer la mort dans la basilique Notre-Dame et qui s’apprêtait à faire de nouvelles victimes. Il importe en premier lieu de saluer l’intervention de ces fonctionnaires qui ont d’ailleurs été heureusement et justement décorés pour cet engagement courageux et déterminant. Qu’ils en soient remerciés et honorés par la Nation est la moindre des choses.
En revanche, le fait d’élargir le défilé à des fonctionnaires civils ne participe-t-il pas de la perte du sens même de ce défilé ? Imagine-t-on les polices municipales de Moscou ou Vladivostok, si héroïques soient-elles, défiler le 9 mai place rouge ? Non, assurément. Et pourquoi donc ?
La tradition du défilé militaire remonte à la Grèce antique puis au monde romain. Elle était réservée aux troupes revenant de la guerre. Chacun garde en mémoire le défilé des troupes victorieuses et leur passage sous les arcs de triomphe. On en déduit donc logiquement le fait que le défilé est une parade destinée à honorer les soldats. Si l’on suit cette logique, alors il est vrai, pourquoi ne pas honorer les personnels soignants qui sont sans nul doute nos plus grands héros du quotidien ?
Mais en fait, telle n’est pas la fonction symbolique du défilé. Il n’a rien à voir avec l’héroïsme qui est aussi bien civil que militaire. Un défilé n’est pas une parade. Il ne consiste pas à paraître. Il consiste à être, être dans l’état militaire. En effet, le défilé servait dans le monde antique à marquer le retour de ceux qui avaient combattu et donc porté la mort, dans la cité parmi les hommes de paix. C’était un rite de purification et de réadmission dans la cité. Les hommes de guerres ont une place et un statut particuliers en ce qu’ils acceptent de donner ou de recevoir la mort, de quitter leur Patrie pour guerroyer “au-delà du sanctuaire”. Lorsque défilent nos soldats de retour de l’Afghanistan, d’Irak ou du Sahel, ou susceptibles d’y partir, nous sommes en plein dans la symbolique antique et donc inhérent à la civilisation helléno-chrétienne qui en découle, la nôtre.
Il ne s’agit surtout pas ici d’un procès d’intention. (*)
Rendre hommage aux policiers municipaux est louable et part d’un bon sentiment. Excellent même. Mais les faire défiler est un mélange des genres qui participe d’une perte du sens des choses.
Or il faut à tout prix éviter la déconstruction du lien Armées-Nation, et de la place de ces dernières dans le cœur des français, car cette place correspond à une triple réalité :
- Celle d’un engagement à servir en tous lieux et en tout temps ;
- Le cas échéant jusqu’au sacrifice ultime, c’est-à-dire à accepter en conscience et librement de recevoir la mort ;
- A donner la mort au combat, sans sommations et hors légitime défense, c’est-à-dire à mettre en jeu son âme.
La tentation est forte à ce stade de reprocher au politique cette tendance disruptive et néfaste. Ce serait une facilité indigne. Car enfin, il importe à mon sens pour nous militaires, “de balayer devant notre porte”.
En effet, cette question de perte du sens va bien au-delà de la question du défilé du 14 juillet. A titre d’exemple, le fait d’attribuer à certains civils si éminents fussent-ils, des décorations strictement conçues pour citer des militaires pour de hauts faits, participe de ce brouillage. Le fait également de distribuer généreusement des grades militaires élevés au titre de la réserve citoyenne y compris à des élus dont certains se sont soustraits aux obligations du service national, ou au titre de la réserve opérationnelle des spécialistes, participe également de ce brouillage. Le fait enfin, d’accepter sans broncher le pillage des grades et de la symbolique militaire par des institutions civiles, participe encore et toujours de ce brouillage. Tout le reste n’est que conséquences. Or in fine, ce brouillage se fait aux dépens des plus humbles des militaires de la Gendarmerie et des Armées servant en unités opérationnelles “sans attendre d’autre récompense que celle de savoir” qu’ils servent leur Patrie et leurs compatriotes. N’est-ce pas trop demander que le caractère absolu de leur engagement et donc de leur statut, la tradition du défilé militaire, leurs décorations et leurs grades si durement, acquis soient un tant soit peu respectés.
(*) les policiers nationaux défilent déjà depuis plusieurs années de même que les sapeurs-pompiers civils des Sdis, les douanes (depuis 2019) et la pénitentiaire (depuis 2016).
Note de la rédaction (qui n’engage que celle-ci et en aucun cas la Gendarmerie) : la participation de la police municipale de Nice au défilé est de notre avis purement politique puisque la PM de Nice a été invitée par le président de la République à la demande de Christian Estrosi, maire de la ville et rallié au président de la République. On imagine mal ce dernier inviter la police municipale d’une ville dirigée par des opposants politiques quand bien même elle se serait comportée en héros. Aurait-il invité les PM de Béziers ou de Chalon-sur-Saône ? Ce qu’on peut analyser comme une instrumentalisation du défilé militaire à des fins de politique intérieure n’est pas à la hauteur du respect dû aux soldats qui défilent.