Alors que le précédent ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en prétextant l’organisation des Jeux olympiques, mais plus probablement pour ne pas risquer d’énerver les puissants syndicats de police, n’a pas suivi les préconisations du Livre blanc de la sécurité intérieure, la Cour des comptes lance un pavé dans la mare au sujet des zones de compétences Police Gendarmerie. Les sages de la rue Cambon préconisent une relance des transferts. Les deux directions générales s’accordent sur le transfert de 14 circonscriptions de Police à la Gendarmerie. La Cour recommande d’aller au-delà et de transférer à la Gendarmerie nationale les 76 circonscriptions de Police jugées vulnérables, en commençant par celles qui rencontrent les plus grandes difficultés opérationnelles. En sens inverse, il conviendrait de transférer à la Police nationale les communes de la zone Gendarmerie intégrées à des métropoles et présentant une continuité d’enjeux de délinquance avec la ville-centre préconise la juridiction financière.
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“La répartition actuelle des forces, datée et incohérente, est source de dysfonctionnements et d’inefficiences au détriment du service rendu à la population. Il est désormais urgent que le ministère de l’intérieur s’empare de ce sujet et procède aux ajustements nécessaires” préconise la juridiction financière qui constate ‘qu’aucun transfert de zone n’est intervenu depuis 2014”. “Les deux directions générales, comme certains acteurs locaux, semblent se satisfaire de ce statu quo alors que la répartition actuelle des forces est source de dysfonctionnements et d’inefficience, au détriment de la population” constate encore la Cour. “Compte tenu de l’influence des syndicats de policiers au ministère de l’Intérieur, il y a peu de chances que de telles recommandations soient suivies d’effet dans l’immédiat” prédit dans “Le Monde”, le journaliste Antoine Albertini, fin connaisseur des arcanes de la Place Beauvau.
Outre le transfert de le transfert de 14 circonscriptions de Police à la Gendarmerie, les deux forces ont effectué également des propositions unilatérales sur lesquelles elles sont en désaccord relève la Cour. La direction générale de la Police nationale refuse ainsi le transfert en zone Gendarmerie de 16 autres circonscriptions de police nationale proposées par la direction générale de la Gendarmerie nationale, qui, de son côté, rejette en bloc le transfert en zone police des communes intégrées dans les métropoles.
La CORAT au bénéfice presque exclusif de la Police
La Cour s’intéresse à la CORAT, la “coordination opérationnelle renforcée entre les agglomérations et les territoires” qui permet au préfet de mettre en place des concours mutuels entre Police et Gendarmerie.
“Son utilisation croît, au bénéfice presque exclusif de la police (852 fois sur 858 depuis 2019), notamment dans le cadre de violences urbaines. Elle a aussi été utilisée pour la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques en 2024” écrivent les rapporteurs. Ces derniers conviennent que “les concours temporaires entre Police et Gendarmerie à la demande du préfet sont indispensables”, mais estiment que, “pour autant, cet outil ne saurait se substituer au transfert de zones et à l’affectation permanente du personnel en fonction des besoins.”
En octobre 2023, le ministre de l’Intérieur a de nouveau demandé aux deux forces une liste de transferts possibles. Dans une note commune du 30 octobre 2023, les directeurs généraux de la Police et de la Gendarmerie nationales ont proposé le transfert de quatorze petites circonscriptions de Police nationale (ainsi que deux CPN dites sensibles – Givors et Montargis) en zone Gendarmerie. Cette liste reprend cinq des propositions déjà formulées en 2015, auxquelles s’ajoutent onze propositions nouvelles. En revanche, quatre circonscriptions de Police nationale de la liste de 2015 n’y figurent plus.
Tableau n° 2 : liste des 14 CPN à transférer en zone gendarmerie selon la DGPN et la DGGN (octobre 2023)

Des mutations “à la carte” des policiers
La Cour a analysé les mesures RH prises lors des précédents transferts entre Police et Gendarmerie. Elle relève que “la gestion des mutations des policiers concernés par ces transferts a été opérée en laissant ces derniers choisir leur lieu de réaffectation.”
Cette situation a accentué les sureffectifs dans des circonscriptions de police ne présentant pas d’enjeu de délinquance. À l’inverse, les unités en tension n’ont pas bénéficié de renforts dans le cadre des mutations prononcées. Quelles que soient les spécificités du dialogue social dans la police, elles ne doivent pas conduire à des affectations contraires aux intérêts du service.
“Pour les redéploiements futurs, il conviendra de limiter les sureffectifs et d’inciter la mutation du personnel vers les zones en tension” préconise la Cour. En effet, le système policier repose « sur des circonscriptions qui doivent être en mesure d’assurer la totalité de leurs missions de manière autonome » et la Gendarmerie “sur de multiples unités fonctionnant selon un principe de subsidiarité”.
Récapitulatif des recommandations
1 Permettre, aux deux forces, d’exercer les missions de sécurité et de paix publiques dans les communes placées sous le régime de police d’État ; à cette fin, modifier l’article R. 431-2 du code de la sécurité intérieure qui confie cette mission à la seule police nationale (ministère de l’intérieur).
2 Transférer à la gendarmerie nationale les petites circonscriptions de police jugées structurellement vulnérables par la direction générale de la police nationale, en commençant par celles qui ne sont pas en mesure de remplir leurs missions opérationnelles (ministère de l’intérieur).
3 Transférer en zone police les communes intégrées à des métropoles présentant une continuité d’enjeux de délinquance avec la ville-centre (ministère de l’intérieur).
4 Transférer en zone Gendarmerie l’ensemble des communes des départements ruraux et faiblement peuplés (ministère de l’intérieur).
5 Donner une base juridique aux situations qui, pour des raisons géographiques et opérationnelles pérennes, conduisent à une compétence partagée des deux forces sur le territoire d’une même commune (ministère de l’intérieur).
6 En cas de fusion de communes ou de création de communes nouvelles, désigner une seule force de sécurité intérieure (Police ou Gendarmerie) compétente sur l’ensemble du territoire de la commune, après avis des élus locaux (ministère de l’intérieur).
7 Renforcer l’ampleur et l’attractivité des dispositifs de détachement entre les deux forces (ministère de l’intérieur).
8 Solliciter l’avis formel de l’autorité judiciaire avant de transférer une commune d’une zone de compétence à l’autre (ministère de l’Intérieur).
9 Relancer le processus de révision des zones respectives de compétence de la Police et de la Gendarmerie nationales, en privilégiant une approche d’ajustement continu (ministère de l’intérieur).