Patrick Bourreau, directeur général de Soframe : “la conception du Centaure correspond parfaitement au panel de missions de la Gendarmerie”

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Patrick Bourreau dans l'usine Soframe (Photo Soframe)

L’entreprise Soframe, filiale défense du groupe Lohr, fabrique le Véhicule d’intervention polyvalent de la Gendarmerie (VIPG), le “Centaure”. À l’occasion d’une visite de l’usine de Duppigheim en Alsace où sont construits les 90 nouveaux blindés de la Gendarmerie, la Voix du Gendarme a rencontré Patrick Bourreau, le directeur général de cette entreprise, une pépite de l’industrie de défense française. Interview.

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LVDG Pourquoi l’entreprise Soframe a t-elle été choisie pour le marché des Centaure ?


Patrick Bourreau La Gendarmerie et le ministère de l’Intérieur exigeaient des preuves a priori et “sur pièces” de l’existence, de la justesse de la conception ainsi que de la robustesse des matériels qui leur étaient proposées au regard d’une doctrine d’emploi qui lui est propre. Cette démarche prudente, visiblement fondée sur une solide expérience, visait à éviter tout aventurisme technique et, par voie de conséquence, budgétaire. Bien entendu, cette démarche était étroitement corrélée à un souci de compétitivité en matière de prix. Soframe a su faire la démonstration de toutes ces exigences combinées pour le choix non pas d’un véhicule blindé, mais d’un système de mission.

Le directeur général de Soframe, Patrick Bourreau devant un Centaure (Photo Soframe)

La conception du véhicule de Soframe correspond à mon avis parfaitement au panel de missions de la Gendarmerie nationale, force armée qui doit être apte à agir sur l’ensemble de que l’on dénommait le spectre paix­ crise­ guerre. Ce spectre, dans sa configuration classique, s’est toutefois modifié sous l’effet de la généralisation de la violence armée que nous constatons partout, de l’instabilité et de l’imprévisiblité du contexte national et international, facteurs générant des situations de plus en plus hybrides.

Pour être concret, les Gendarmes pourront dis­poser d’un véhicule permettant, dans le bas du spectre, d’évoluer dans le contexte de recherche d’un individu armé comme ce fut le cas au Lardin­ Saint-­Lazare en Dordogne en 2021, et plus généralement, lors d’interventions dans le cadre d’opérations de police judiciaire en environnements dangereux.

Ils seront ensuite à même de mieux accomplir leurs missions de maintien de l’ordre et de rétablissement de l’ordre face à des manifestants armés, et dans ce cadre, notamment de mieux garantir l’intégrité des organes gouvernementaux majeurs et les emprises d’importance stratégique.

Enfin, cette dotation remet à niveau la Gen­darmerie dans sa capacité à évoluer dans un contexte très dégradé de nature insurrectionnelle ou relevant du cadre de la Défense opérationnelle du territoire (DOT).

LVDG Quelle a été votre démarche dans la conception de ce véhicule ?

Patrick Bourreau Il s’est agi avant tout de comprendre l’emploi et le service des matériels de ce type dans le spectre d’évolution des missions mentionnées précédemment. Plusieurs impératifs ont sous­-tendu notre démarche :
premièrement, il s’est agi de comprendre les conditions de vie des Gendarmes en déploiement, devant rester en réserve, équipés, dans les véhicules durant des périodes souvent longues, tout en étant aptes à intervenir avec un préavis très court. La question d’un minimum de confort et d’ergonomie a donc été bien prise en considération ;

deuxièmement, et bien évidemment, l’objectif était d’assurer une meilleure protection balistique ainsi que contre les effets blast, alors même que les dernières manifestations révèlent le développement d’armements de circonstance à effet potentiellement létal, et que l’actualité démontre par ailleurs un phénomène structurel de généralisation de l’emploi d’armes de guerre ;

troisièmement, tout en participant d’une meil­leure protection des personnels, y compris pour évoluer dans un environnement pollué, les équipements technologiques dont est doté ce véhicule doivent aussi permettre aux Gendarmes de continuer d’agir conformément aux principes de gradation et proportionnalité en matière d’usage de la force ;

Enfin, il faut noter la robustesse. Il s’agit en effet de véhicules destinés à “être et durer”, selon la fameuse devise d’un régiment d’élite. Plus qu’un véhicule, le VIPG est un système de moyens permettant de disposer d’un effec­teur de sauvegarde des institutions et de la continuité de l’action gouvernementale en toutes circonstances.

LVDG Pour l’entreprise, que représente ce marché avec la Gendarmerie?


Patrick Bourreau L’on évoque souvent la Gendarmerie en tant qu’“institution”. La rigueur, la méthode et la discipline avec lesquelles elle prépare et accomplit infailliblement ses missions quotidiennes, comme celles qu’elle accomplit en situations de crise, sont aussi les gages du choix de ses matériels. Le choix de la Gendarmerie est donc une reconnaissance pour Soframe de la robustesse et de la fiabilité de ses produits par une institution qui les met en œuvre en conditions réelles au plan quasi quotidien.

LVDG Envisagez vous de proposer le Centaure à d’autres états ?

Patrick Bourreau J’ai mentionné précédemment les qualités qui font la force et la réputation de la Gendarmerie nationale. Cette réputation est manifeste à l’étranger d’autant que l’évolution interne de nombreux pays démontre la pertinence du modèle de force de type Gendarmerie.

Notre Gendarmerie fait référence et, de la même façon que de nombreux stagiaires étrangers viennent se former auprès de la Gendarmerie pour y acquérir ses savoir­faire reconnus, celle­ci s’avère également déterminante dans le choix des matériels dont elle se dote. La Gendarmerie est prescriptrice de choix de systèmes et nous comptons sur le modèle qu’elle constitue pour bon nombre de ses homologues dans leurs choix doctrinaux et ceux, induits, des matériels qui leur correspondent.

Propos recueillis par Didier Chalumeau

Patrick Bourreau, un saint-cyrien passé par Aérospatiale, EADS, Eurocopter et Arianegroup

Saint-Cyrien de la promotion lieutenant-colonel Gaucher, Patrick Bourreau a quitté à regret l’armée au grade de capitaine à la suite d’un accident après avoir servi à la 142e compagnie de génie de la 9e division d’infanterie de marine.(DIMa)

Titulaire du MBA (Masters in Business Administration) d’HEC (Hautes études commerciales), il s’est reconverti dans une carrière de commerce à l’international dans l’industrie française de l’aéronautique et de la défense. Délégué du groupe Aérospatiale puis d’EADS en Russie et dans les pays de la CEI entre 1995 et 2000, période pendant laquelle il contribue notamment à mettre en place la joint-venture franco-russe Starsem dédiée au lancement de fusées Soyouz à partir de Kourou. Il a rejoint ensuite la direction de la stratégie du groupe Eurocopter où il s’est attaché à développer le réseau international de filiales, notamment en Asie, afin d’accompagner lapercée de l’hélicoptériste sur ces marchés (créations d’Eurocopter Romania, Eurocopter Vostok, Eurocopter China, Eurocopter India, Eurocopter Malaysia, Eurocopter Indonesia, Eurocopter South Africa).

En 2005, Fabrice Brégier, président d’Eurcopter, lui confie la campagne du nouvel hélicoptère lourd Coréen KHP,

projet majeur assorti de transferts de technologie sous contrôle et création d’une filiale locale, qu’Eurocopter remporte de haute lutte face aux Américains Boeing et Sikorsky.

De 2007 à 2011, il est adjoint au directeur Asie d’Eurocopter, période pendant laquelle les ventes passent de 250 millions d’euros à près d’un milliard d’euros annuels.

En 2012, il est nommé président d’Hélisim, une joint- venture associant Eurocopter, Thalès et DCI dédiée à la formation d’équipages d’hélicoptères sur simulateurs « full flight ». La société de services passe en fonctionnement H24 et forme 2 500 stagiaires par an.

En 2014, il rejoint ArianeGroup pour prendre la direction du site français de destruction des munitions chimiques résiduelles de la Guerre 1914-1918 (SECOIA). Il y dirige l’achèvement du chantier, la mise en place des activités, la campagne d’essais de qualification ainsi que les premières destructions.

En 2019, il rejoint Soframe, filiale du groupe industriel alsacien Lohr dédiée aux activités défense & sécurité, en tant que Directeur Général.

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