Quatorze ans après un premier rapport traitant de ce sujet (2008), le HCECM, Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, a choisi de traiter à nouveau de la mobilité des militaires. Ce 16e rapport thématique, remis au président de la République le 7 juillet, détaille la mobilité dans les différentes forces armées et dans la Gendarmerie. Le haut comité, formule des propositions et fait onze recommandations dont l’une concerne spécifiquement la Gendarmerie.
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Le Haut comité justifie de traiter ce thème de la mobilité “parce que La mobilité géographique du militaire, lorsqu’elle survient, et plus encore quand son rythme est élevé, est l’une des sujétions de l’état militaire qui affecte le plus directement la vie quotidienne du militaire et de sa famille, dans des aspects parmi les plus importants : activité professionnelle du conjoint, donc niveau de vie, logement, et par là aussi propriété immobilière, éducation des enfants, prise en charge médicale, cadre de vie, vie sociale, insertion dans le territoire.”
“Cette mobilité est de ce fait au cœur de tensions et, aujourd’hui plus qu’hier, de l’arbitrage que le militaire fait entre ses attentes en termes de vie familiale et personnelle et sa vie professionnelle, arbitrage déterminant pour la poursuite ou l’arrêt de son engagement militaire” écrit encore le HCEM. (rapport complet à télécharger en bas de l’article ou sur le site du HCECM
La mobilité est une dimension de la disponibilité des forces armées
Le HCEM, en préambule du rapport, rappelle que “le principe constitutionnel de “nécessaire libre disposition de la force armée”, dégagé par le Conseil constitutionnel “implique que soit assurée la disponibilité, en tout temps et en tout lieu, des forces armées” .
“La mobilité des militaires, est l’une des dimensions de cette disponibilité”, estime le HCECM “comme le principe d’un temps de service qui ne prend fin que lorsque s’achève la mission ou encore l’obligation de répondre sans préavis et pour une durée indéterminée à tout engagement opérationnel, à commencer par celui qui expose le militaire au sacrifice suprême, dans des situations le conduisant à devoir donner la mort sur ordre.”
La mobilité dans la Gendarmerie
Paragraphe consacré à la Gendarmerie dans le rapport
La mobilité dans la Gendarmerie n’a pas les mêmes caractéristiques que dans les armées. La Gendarmerie est d’abord caractérisée par le grand nombre d’implantations géographiques : 3 600 unités dont 3 100 brigades territoriales , qui permettent à la Gendarmerie de couvrir 96 % du territoire, 85 % du linéaire routier et 94 % du linéaire frontalier. À la différence des autres forces armées dont la concentration des effectifs dans des structures importantes telles que les régiments, les bases navales et aériennes, peut permettre une mobilité fonctionnelle sans changement de résidence, l’organisation très déconcentrée de la Gendarmerie se caractérise par une multitude d’unités à effectif limité (souvent inférieur à 30). L’affectation des effectifs sur l’ensemble du territoire et dans toute sa profondeur est donc la finalité première que la politique de mobilité des Gendarmes doit satisfaire.
Cette organisation nécessite en effet une mobilité des personnels à la fois géographique et fonctionnelle pour honorer les postes vacants en tous points du territoire. L’objectif n’est pas toujours aisé à atteindre en raison du déficit d’attractivité de certaines régions (Est, Centre, …).
Cette mobilité est significative et similaire pour les officiers de Gendarmerie et les officiers du corps technique et administratif (OCTA). Elle est moins forte mais également similaire pour les corps des sous-officiers [sous-officier de Gendarmerie (SOG) et corps de soutien technique et administratif de la Gendarmerie nationale (CSTAGN)].
La gestion des mobilités diffère suivant les corps et accessoirement les spécialités. Celle des officiers ainsi que de certaines spécialités qui n’atteignent pas une masse critique au niveau régional se fait au niveau national. Les sous-officiers de Gendarmerie (SOG) qui constituent la majorité des Gendarmes (87 % des effectifs militaires de la Gendarmerie en 2021, hors volontaires), sont gérés au niveau régional.
Par ailleurs, les conditions de logement diffèrent fondamentalement de celles des militaires des armées. Sauf cas particulier, les officiers de Gendarmerie et les sous-officiers de Gendarmerie bénéficient d’une concession de logement par nécessité absolue de service (CLNAS).
Le logement en caserne est exclusivement justifié par des considérations d’efficacité opérationnelle et de continuité sans faille et sur tout le territoire, de la mission de la Gendarmerie.
Le logement en caserne est exclusivement justifié par des considérations d’efficacité opérationnelle et de continuité sans faille et sur tout le territoire, de la mission de la Gendarmerie.
Il ne doit pas être regardé comme un avantage, même s’il résout l’une des difficultés majeures liées à la mobilité que connaissent les autres militaires lors de leur installation sur leur nouveau lieu d’affectation. Toutefois, les officiers du corps technique et administratif de la Gendarmerie (OCTAGN), les sous-officiers du corps de soutien technique et administratif de la Gendarmerie (CSTAGN), ainsi que les Gendarmes adjoint volontaires ne bénéficient pas des logements NAS.
En 2020, la mobilité géographique concernait près de 22 % des officiers et 15 % des sous-officiers.
Les règles de gestion communes aux deux corps d’officiers offrent des durées d’affectation qui diffèrent des autres forces armées, en ce qu’elles sont un peu plus longues :
– 3 ou 4 ans pour les postes de commandement en titre et en second au sein des unités opérationnelles ;
– 5 ans dans les postes de commandement en qualité d’adjoint et les postes d’environnement ;
– 3 ans pour les postes en école ;
– 10 ans en cas de choix d’un cycle long à la demande de l’officier.
Cependant, globalement les officiers de Gendarmerie sont soumis à un rythme de mutations qui est comparable à celui des officiers des armées. La population des officiers brevetés est également plus affectée par la mobilité géographique, alternant des affectations opérationnelles en province et des affectations en administration centrale parisienne.
Contrairement aux officiers de Gendarmerie, la gestion de la mobilité des sous-officiers de Gendarmerie repose, à l’instar de la fonction publique civile, sur le volontariat.
Ainsi, la mobilité d’office dans le cadre de l’avancement a été suspendue lors des promotions aux grades de maréchal-des logis-chef et d’adjudant. Les sous-officiers du CSTAGN bénéficient de la même mesure. Pour les promotions dans les grades d’adjudant-chef et de major, pour lesquelles une mobilité fonctionnelle et géographique est requise, le militaire bénéficie préalablement à son éventuelle inscription au tableau d’avancement d’un dialogue de gestion individualisé avec le gestionnaire afin de rechercher ensemble une affectation qui répondrait à la fois au besoin du service et aux desiderata du militaire. En dernier ressort, si le militaire refuse toutes les propositions du gestionnaire, il peut retirer son volontariat à l’avancement. Pour l’administration, la mobilité géographique est donc liée principalement à la mobilité fonctionnelle. Pour les sous-officiers, elle intervient au moment du passage de grade, voire à la suite de l’acquisition d’une compétence, et se déroule toujours dans le cadre d’un dialogue de gestion avec le militaire concerné. En comparaison avec les armées, compte tenu des règles de mobilité pour les sous-officiers de Gendarmerie, les temps de commandement peuvent être plus longs.
20 % des commandants de brigade sont en fonction depuis plus de 5 ans
Ainsi, 20 % des commandants de brigade sont en fonction depuis plus de 5 ans, 13 % depuis plus de 7 ans et 4 % depuis plus de 10 ans. La différence est toutefois moins forte pour les temps de commandement des officiers de Gendarmerie.
Les différents types de mobilité géographique des Gendarmes adjoints volontaires (GAV) sont similaires à ceux des sous-officiers. Cependant, en raison de la durée limitée de leur contrat (renouvelable dans la limite de 6 ans de services), les GAV peuvent solliciter une mutation sur demande après un an de service.
Les propositions du HCECM
Les propositions et pistes formulées par le Haut Comité sont de quatre ordres.
En premier lieu, plusieurs améliorations envisagées s’inscrivent dans le prolongement d’actions ou d’orientations aujourd’hui mises en œuvre. De l’observation des différentes pratiques des forces armées, le HCECM tire les enseignements suivants. Concernant la gestion des mobilités, il estime que des limitations de certaines d’entre elles pourraient être recherchées, sans obérer les besoins opérationnels des forces armées, notamment dans le cas des militaires en formation. Pour mieux prendre en compte des aspirations qui évoluent avec l’ancienneté, la mobilité pourrait être privilégiée en début de carrière et, surtout pour les sousofficiers, décroître en cours de carrière. Lors du dialogue avec le gestionnaire, la bonne pratique consistant à valoriser les mobilités effectuées dans des régions moins attractives ou envisagées défavorablement par le militaire pourrait être davantage développée. La prise en compte, au premier rang, des situations de handicap ou d’affection de longue durée dans la famille du militaire mériterait d’être généralisée. En deuxième lieu, le Haut Comité considère que l’amélioration des conditions de l’insertion des militaires et de leurs familles dans certains territoires d’affectation passe par une mobilisation renforcée, au niveau local, des moyens, relais et acteurs concernés.
Ainsi, la mise en place d’une réserve citoyenne du service de santé des armées pourrait-elle contribuer à lever une partie des difficultés d’accès à un médecin pour les familles arrivantes, réelles dans nombre de territoires. De même, la réunion, autour d’une prestation identifiée de services de type “conciergerie”, de l’ensemble des champs concernés par la mobilité géographique permettrait d’offrir un guichet unique à destination du militaire et de sa famille en situation de mobilité et de faciliter leur implantation dans le territoire. Le Haut Comité, dans le prolongement des préconisations qu’il a déjà faites dans de précédents rapports , souligne aussi l’importance de l’engagement des autorités militaires locales auprès des autorités civiles et des acteurs économiques locaux, mission à part entière du commandement militaire destinée à faciliter l’intégration des militaires dans le tissu local.
Dans le domaine de la rémunération, le Haut Comité constate que, malgré une meilleure prise en compte par la NPRM des contraintes de la mobilité pour le plus grand nombre de militaires, au travers de l’indemnité de mobilité géographique des militaires (IMGM) et de l’indemnité de garnison (IGAR) et son complément, la voie indemnitaire ne permet pas d’apporter une réponse à la hauteur des effets les plus pénalisants pour les familles de militaires d’une carrière militaire ponctuée par un rythme élevé de mobilités géographiques : le niveau de vie et la constitution d’un patrimoine immobilier.
Une réflexion sur la répartition entre rémunération indemnitaire et rémunération indiciaire.
Constatant les limites d’une compensation purement indemnitaire, qui, sauf exceptions, n’est pas prise en compte pour le calcul de la pension, le Haut Comité appelle à l’engagement d’une réflexion sur la répartition entre rémunération indemnitaire et rémunération indiciaire.
Le Haut Comité souligne qu’une telle réflexion devrait être menée en veillant à la cohérence et à l’unité de la condition militaire, particulièrement entre les armées et la Gendarmerie, comme il doit en être, d’une manière générale, de toute réforme à caractère indiciaire. Les changements envisagés dans ce domaine devraient aussi être étudiés dans le cadre d’un travail commun mené le plus en amont possible sous l’autorité conjointe du ministre des armées et du ministre de l’intérieur.
Enfin, le Haut Comité souligne l’utilité pour les forces armées de recourir davantage à l’évaluation des politiques de gestion des ressources humaines qu’elles mettent en œuvre, tant au regard des objectifs qui leur sont assignés que de leur impact direct et indirect sur le recrutement et la fidélisation des militaires et à l’analyse des données sociales, notamment sur les aspirations des nouvelles générations, pour mieux conduire ces politiques, à partir de données plus objectives et complètes.
Les onze recommandations
Partant des constatations et observations qui précèdent, le Haut Comité émet les recommandations suivantes. La sixième concerne spécifiquement la Gendarmerie et la limitation des temps de commandements.
Recommandation 1
Le Haut Comité, sans préconiser une mesure propre aux militaires propriétaires de leur résidence principale, qui soulèverait de sérieuses difficultés au regard du principe d’égalité devant l’impôt, propose que soit examinée la faisabilité d’une mesure visant à prendre en compte la situation particulière des propriétaires d’un bien immobilier ne pouvant l’occuper comme résidence principale pour des raisons liées à des contraintes de mobilité professionnelle.
Recommandation 2
Le Haut Comité recommande d’adapter les politiques de gestion de ressources humaines et d’organisation de la mobilité en cherchant à mettre en œuvre les orientations suivantes :
‐ privilégier une mobilité géographique en début de carrière ;
‐ pour les sous-officiers principalement, privilégier ensuite une mobilité géographique qui décroît au fil de la carrière en favorisant une mobilité fonctionnelle ;
‐ étendre le créneau d’arrêt des mobilités géographiques avant les limites d’âge/des services.
Recommandation 3
Le Haut Comité préconise de limiter au strict nécessaire la mobilité géographique imposée dans le cadre de la formation, notamment :
‐ privilégier une mobilité fonctionnelle assortie d’une stabilité géographique en sortie des cours et stages ;
‐ favoriser les formations à distance ;
‐ privilégier les formations en plusieurs modules distincts plutôt que les formations longues.
Recommandation 4
Le Haut Comité recommande de valoriser la mobilité, en particulier dans les régions les moins demandées, notamment par l’engagement d’une priorité accordée aux desiderata du militaire concernant son affectation ultérieure.
Recommandation 5
Le Haut Comité recommande qu’au-delà d’un certain nombre d’années, 7 années par exemple, la direction générale de la Gendarmerie nationale apprécie, sans se limiter à la seule manière de servir de l’intéressé, l’opportunité de prolonger de, par exemple, 3 années au plus la durée de commandement, et que la durée totale du commandement ne puisse dépasser une durée maximale, par exemple 10 années.
Recommandation 6 :
Le Haut Comité recommande la mise en place d’une réserve citoyenne du SSA. Ces réservistes auraient vocation à faciliter l’accès aux soins des familles de militaires arrivant dans une nouvelle garnison à la suite d’une mobilité géographique, notamment dans les déserts médicaux.
Recommandation 7
Dans le cadre de la gestion de la mobilité géographique, le Haut Comité recommande que les forces armées se saisissent de la problématique particulière des militaires ou de leurs familles concernés par le handicap ou les affections de longue durée. Dans ces cas, les directions des ressources humaines ne procèderaient à une mobilité qu’avec l’accord du militaire et uniquement dans des affectations géographiques qui permettent le suivi et l’accompagnement de ces handicaps ou affections et après qu’elles aient soutenu les familles concernées dans la prise en charge de ces personnes.
Recommandation 8
Le Haut Comité recommande la mise en place d’une prestation de service de type conciergerie, à chaque fois qu’il semble nécessaire de renforcer ou de coordonner les structures existantes, afin d’offrir aux militaires et à leurs familles en situation de mobilité géographique un service d’accompagnement dans leurs démarches d’implantation locale.
Recommandation 9
Le Haut Comité recommande de renforcer les relations entre les autorités militaires locales et les autorités civiles (liens avec les services locaux de l’État, les collectivités territoriales, les élus) ainsi qu’avec les acteurs économiques et de multiplier les actions permettant de faciliter l’intégration des militaires dans le tissu local.
Recommandation 10
Le Haut Comité recommande de poursuivre l’adaptation de la politique de rémunération des militaires pour répondre aux contraintes de la vie militaire et continuer à assurer l’attractivité du métier militaire. Ces travaux devraient s’accompagner d’une réflexion sur la recherche d’un meilleur équilibre entre rémunération indiciaire et rémunération indemnitaire, au vu notamment des limites de la prise en compte par la seule voie indemnitaire des conséquences de certaines sujétions. Il y aurait lieu aussi, dans le cadre de ces travaux, de veiller à la cohérence et à l’unité de la condition militaire, particulièrement entre les armées et la gendarmerie. Le Haut Comité estime que les changements envisagés dans ce domaine devraient être étudiés dans le cadre d’un travail commun mené le plus en amont possible sous l’autorité conjointe du ministre des armées et du ministre de l’Intérieur.
Recommandation 11
Le Haut Comité invite d’une part à mettre en place deux instruments permettant, pour l’un, d’évaluer les politiques de ressources humaines mises en œuvre et, pour l’autre, d’observer les évolutions à l’œuvre dans la société de nature à influer directement sur le recrutement des militaires, leur gestion et leur fidélisation et, d’autre part, à réexaminer à intervalles réguliers la politique des ressources humaines en fonction notamment des résultats des évaluations ainsi menées et des observatios faites.
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