“Mise en perspective de la question des blindés en Gendarmerie” : tribune du colonel (ER) Cholous

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Des Gendarmes mobiles aux côtés d'un VBRG (Photo GBGM)

Auditionné mercredi 7 octobre par la commission de la Défense (*) de l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances 2011, le directeur général de la Gendarmerie a annoncé que la Gendarmerie prévoyait d’acquérir 45 nouveaux blindés pour un montant estimé à 32 millions d’euros.

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Le colonel (ER) Philippe Cholous, l’un des conseillers techniques de la Voix du Gendarme, met en perspective dans une tribune la question des blindés en Gendarmerie.

Philippe Cholous a servi comme chef de peloton de combat sur AMX 13 canon, chef de section de combat sur AMX 10 P, commandant d’unité VBRG en Guyane, puis commandant en second du GBGM. Il a également été engagé à plusieurs reprises au combat sur Humvee en Afghanistan).(Photo DR)

Philippe Cholous a servi comme chef de peloton de combat sur AMX 13 canon, chef de section de combat sur AMX 10 P, commandant d’unité VBRG en Guyane, puis commandant en second du groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM). Il a également été engagé à plusieurs reprises au combat sur Humvee en Afghanistan).

L’émergence d’une “violence globale”, phénomène annoncé et conceptualisé dès les années 2000 par le général de division (2s) Bertrand Cavallier, marque l’éternel “retour du réel » s’agissant en particulier de l’intérêt qu’il y a pour la France à disposer d’une composante blindée spécialisée dans les opérations de rétablissement de l’ordre. A priori désormais acquis, le processus de renouvellement de la composante blindée de la Gendarmerie revêt en fait une double dimension. Il constitue d’une part une question capacitaire avec ses aspects techniques et tactiques, d’autre part un enjeu stratégique en termes de positionnement institutionnel et militaire de l’Arme. Ces deux volets n’étant pas du même ordre, je me propose ici de les aborder successivement afin de mettre en perspective le défi qui se pose à la Gendarmerie dans ce domaine.

Envisager les blindés de la Gendarmerie sous l’angle capacitaire.

En premier lieu et pour surprenant que cela puisse paraître, il convient donc d’envisager la composante blindée de la Gendarmerie sous l’angle capacitaire. En effet, une juste compréhension du volet capacitaire de notre réflexion, est indispensable pour réellement appréhender la nature et l’ampleur des enjeux stratégiques induits.

“La plus grande immoralité est de faire un métier qu’on ne sait pas », avait coutume de dire l’Empereur.

De fait, certains interlocuteurs influents mais béotiens dans ce domaine particulier, ont une vision extrêmement réductrice des blindés, au point d’ailleurs de remettre régulièrement en question leur utilité.

Or, le sujet des blindés est d’abord une question technique et la manœuvre tactique sous blindage un métier. C’est pourquoi et même si cela peut sembler aride, il importe d’aborder cette question avec méthode, humilité et sérieux en s’appuyant sur les retours d’expérience et sur des compétences éprouvées. 

Tout d’abord, qu’attend-on d’un élément blindé ? 

Il doit pouvoir assurer sous blindage des missions de protection, de mobilité, d’appui et offensives :

  • S’agissant de la protection des missions de :
    • Défense ;
    • Contrôle de zone insécurisée ;
    • Transport au contact d’unités de maintien de l’ordre ou d’intervention ;
    • Fourniture d’une protection statique ou dynamique à des unités engagées au maintien de l’ordre ou en intervention, sur des glacis ou des espaces dépourvus de protections artificielles ou naturelles ;
    • Transport de personnels de santé ou d’autorités en zone insécurisée ;
    • Recherche du renseignement en zone de contact ;
    • Evacuation de ressortissants ou d’otage.
  • S’agissant de la mobilité des missions :
    • D’éclairage et de reconnaissance d’axe ;
    • D’ouverture de route et d’escorte de convoi ;
    • De rétablissement de la viabilité des axes.
  • S’agissant de l’appui des missions :
    • D’appui des unités de maintien de l’ordre au contact ;
    • D’appui par la lumière ou par les feux d’unités débarquées et manœuvrant à distance de tir ou au contact ;
    • De recueil d’unités en zone de contact ;
    • De soutien, c’est-à-dire de fourniture d’un adossement dynamique à des unités engagées au maintien de l’ordre ou en intervention, sur des glacis ou des espaces dépourvus de protections artificielles ou naturelles.
  • D’un point de vue offensif des missions :
    • De reconnaissance d’axe ou de zone ;
    • De contrôle de zone ;
    • Consistant à s’emparer d’une zone battue par les feux adverses ;
    • De transport à l’assaut d’unités de maintien de l’ordre ou d’intervention en situation insécurisée ;
    • De tir de saturation sous-tourelle ;
    • De contre-tir sous tourelle par arme à feu ou de précision.

Au regard de ce constat, se pose la question de savoir dans quel contexte la composante blindée de la Gendarmerie doit pouvoir réaliser ces missions ?

Elle a vocation le faire dans au moins trois configurations différentes :

  • Dans le cadre du rétablissement de l’ordre en métropole et outre-mer ;
  • En appui aux unités d’intervention en général, et dans le cadre de la lutte anti-terroriste en particulier ;
  • Dans le cadre de la participation aux opérations extérieures ou en défense opérationnelle du territoire, en appui d’un dispositif de puissance :
    • Composante de rétablissement de l’ordre, comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire et au Kosovo ;
    • Composante de substitution ou d’accompagnement de force de police ou de contre insurrection, comme ce fut le cas en Afghanistan ;
    • Hypothèse de reprise de contrôle de certaines régions du territoire national ;
    • Opérations de combat le cas échéant.

Ce que devra être le nouvel engin blindé

Ce contrat opérationnel étant posé, un cahier des charges sommaire se dessine. Le nouvel engin blindé devra être :

  • En portée budgétaire, c’est-à-dire dépourvu de tous les matériels technologiques onéreux qui ne sont pas indispensables. Il faudra résister au « tout technologique » souvent avancé par les fabricants pour des motifs plus mercantiles qu’opérationnels. Des engins simples, efficaces et rustiques, sont conçus pour l’exportation, qui peuvent être intelligemment et utilement adapté aux exigences de la Gendarmerie ;
  • Idéalement à hauteur de 80 unités, en mesure de transporter un groupe de maintien de l’ordre, d’intervention ou de combat de 8 à 10 militaires ;
  • Adapté au rétablissement de l’ordre et compatible avec le combat ;
  • Rustique et facile à entretenir, les militaires qualifiés blindés et affectés au GBGM ou en antennes GIGN, étant avant tout des gendarmes mobiles et n’étant donc pas exclusivement dédiés à armer ou entretenir ce type de véhicules ;
  • Armé d’un dispositif de lance grenade et de contre-tir téléopéré ou sous tourelle (lance-grenades, arme collective et/ou de précision) ;
  • Armé d’un phare de chasse ;
  • Doté d’un blindage sérieux, c’est-à-dire protégeant a minima des armes légères d’infanterie ;
  • Doté de protection contre les IED simples ;
  • Equipé si possible d’une lame ou à défaut d’un treuil très puissant.

L’analyse capacitaire posée, il importe en second lieu de considérer l’enjeu stratégique que constitue le renouvellement du parc blindé de la Gendarmerie.

Alors même que des quartiers entiers sont de facto entrés en sécession et que l’occurrence de troubles graves et généralisés pouvant conduire à la guerre civile, n’a jamais été aussi grande, il est intéressant de revenir en prenant de la hauteur sur le principe de « gradation emploi de la force » appliqué aux forces de sécurité intérieure.

Notre pays dispose de deux forces de sécurité intérieure complémentaires, l’une civile pouvant intervenir en maintien de l’ordre, l’autre militaire assurant le continuum rétablissement de l’ordre/situations de contre insurrection qui ressortent au mieux de savoir-faire militaires durcis, au pire d’une logique de combat. Dans cette perspective, les responsables politiques auront à engager successivement ces 2 forces avec leurs différences professionnelles et statutaires. C’est pourquoi, il est fondamental, que la Gendarmerie dispose d’une composante blindée lui permettant d’assurer soit en autonomie avec ses pelotons d’intervention, soit en appui d’unités de anti-terroristes de Police ou de Gendarmerie, voire de combat conventionnel ou de forces spéciales des armées. 

Pour la Gendarmerie, les efforts consentis pour conserver une composante blindée sont révélateurs de sa volonté farouche de rester une force armée.

C’est d’ailleurs ce que les Français et le monde politique attendent plus que jamais d’elle. De fait et à l’heure où nos armées modernisent leur parc blindé avec les programmes VBCI, Griffon, Jaguar et de revalorisation du Leclerc, la Gendarmerie ne saurait rester en retrait total, alors même qu’elle est attendue pour prendre le cas échéant sa juste place en appui ou au sein des Armées en opérations extérieures, voire intérieures. De fait, des sergents d’arme des campagnes royales aux récentes opérations extérieures du groupement blindé de Gendarmerie mobile (GBGM), en passant par les charges de la Gendarmerie d’élite sous l’Empire, le groupe spécial blindé, le 45ème bataillon de chars de combat, les blindés en Indochine puis en Algérie, ou encore dans la défense opérationnelle du territoire pendant la guerre froide, la Gendarmerie a toujours tenue sa place aux côté des armées comme appoint de cavalerie puis de blindés. 

Les blindés : une épreuve de vérité pour le ministère de l’Intérieur

Sur le même sujet : Pourquoi la Gendarmerie doit renouveler ses blindés : les explications du général Bertrand Cavallier

Enfin, pour le ministère de l’Intérieur, le renouvellement du parc blindé de la Gendarmerie est sinon une épreuve de vérité, à tout le moins un puissant révélateur.

 

10 ans après l’intégration de la Gendarmerie, est-il devenu un vrai ministère authentiquement régalien engerbant en son sein deux forces de sécurité intérieure partenaires et complémentaires, ou bien reste-t-il fondamentalement un ministère étriqué et partisan, celui de la Police nationale.

En effet, force est ici de rappeler que s’agissant des équipements lourds de la Gendarmerie, blindés en particulier, le ministère de la défense en son temps de tutelle sur l’Arme, s’est toujours montré à la hauteur des enjeux, ayant même su la doter simultanément de 2 engins spécifiques, le véhicule blindé à roue (VBRG) pour le maintien de l’ordre et le véhicule blindé canon de 90 millimètres (VBC 90) pour la défense opérationnelle du territoire.

(*) Audition du général Christian Rodriguez DGGN devant la Commission de la Défense nationale.

2 Commentaires

  1. La Gendarmerie dernier recours… si on lui en donne les moyens. Exposé simple et lumineux ! Puissent les hommes politiques entendre ce gendre de message avant qu’ils aient à le regretter -et les Français d’abord !-. Quarante ans de naïveté et de lâcheté combinées nous ont amenés là où nous sommes. Le martyre de Samuel Paty ouvrira t-il enfin les yeux et les oreilles de ceux qui nous gouvernent ou faudra-il-encore d’autres morts ? Combien ?

  2. Bonjour,
    Ancien commandant le la 3éme LGM de 1991 à 1993 puis de la LGMIF de 1993 à 1995 et vice président de la commission de maintien de l’ordre j’ai été très intéressé par l’article du colonel (er) P. Cholous concernant le remplacement des VBRG . Ce problème s’est posé dès le début des années 90. Comme lui j’avais , à l’époque, envisagé le blindé « futur » de la gendarmerie sous l’angle capacitaire . Je me permets toutefois d’ajouter à la liste établie par le colonel une capacité qui a souvent fait défaut au VBRG celle de s’affranchir des obstacles les plus courants à savoir les fossés un peu large en terrain libre ou ceux bordant les routes et les obstacles ancrés que la lame ne peut pas écarter comme certaines barricades que nous avions eu à franchir notamment à Plogoff. Ayant employé cet engin à de nombreuses reprises en métropole et Outre-Mer d’abord comme capitaine , notamment durant l’été 75 au moment des événement d’Aléria, puis en Bretagne alors que je commandais la 3 éme LGM , j’ai pu constater la nécessité de choisir un blindé capable d’évoluer en tout terrain et de sortir des itinéraires classiques. Au passage je souligne le fait que j’ai été à l’origine d’un rapport établi à la suite de la « nuit de Bastia » après Aléria qui a conduit à l’installation du tourelleau dont cet engin était dépourvu à l’origine.
    Donc, en 1994 , nous avons procédé à Satory à la présentation et aux essais du VAB 6X6 qui répondait en grande partie à ces exigences . De surcroît ce VAB complétait le VBC 90 qui remplaçait l’AMX 13 canon au GBGM offrant ainsi un véhicule de remplacement des VTT AMX , permettant d’équiper le GBGM d’une gamme cohérente opérationnelle avec un soutien largement facilité. Le VAB 6×6 étant à l’époque , en service notamment au Maroc. Faute de crédits le projet fut abandonné.
    Evidemment la GM doit posséder une composante blindée correspondant aux missions spécifiques qui peuvent lui être confiées tant en métropole qu’outre-mer ou dans l’environnement des opérations conduites par nos armées .Le général Cavallier l’a parfaitement démontré dans ses écrits. Il est dont urgent de trouver l’engin idoine en tenant compte des capacités et en évitant de commettre l’erreur qui handicapa le VBRG , à savoir l’absence initiale de tourelleau qui obligea la DG a décider d’une modification coûteuse indispensable à la sécurité du tireur. Quant-à la « cible » idéale pour répondre aux besoins en tenant compte de l’indisponibilité technique , elle serait ,selon moi, de l’ordre de 120 matériels avec un minimum de 90.

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