Directive européenne temps de travail : la mise en garde du HCECM

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Le temps de service des militaires - temps qu’ils consacrent à leur mission, c’est-à-dire présence dans les unités, entrainement, instruction, formation, participation à des missions de sécurité intérieure et extérieure, astreinte, etc...- est un élément structurant de l’organisation et du fonctionnement des forces armées pour le HCECM (Photo d'illustration Benoît Couvreux ESOG Chaumont)

La menace de la Cour de justice de l’Union européenne qui pourrait imposer l’applicabilité de la directive du 4 novembre 2003, dite “du temps de travail” , aux militaires donc aux Gendarmes continue d’inquiéter au plus niveau de l’état. Cette épée de Damoclès a conduit aussi le Haut comité à l’évaluation de la condition militaire, le HCECM à formuler un avis dans lequel il prend clairement position sur 3 points principaux.

Sur le même sujet : La cour de justice européenne relance le sujet du temps de travail des Gendarmes et des militaires

Rappelons qu’au sujet d’un litige concernant un ex sous-officier de l’armée slovène l’avocat général de la juridiction européenne, Henrik Saugmandsgaard, propose “de séparer le “service courant”, pour lequel les directives 89/391 et 2003/88 sont applicables, des véritables “activités spécifiques” des forces armées, en particulier celles effectuées dans le cadre des opérations militaires et de la préparation opérationnelle, qui en sont exclues.”

Florence Parly, la ministre des armées, a aussitôt pris position contre cette position de l’avocat de la cour de justice européenne.

Je vais aller droit au but : je suis farouchement opposée à l’application de la directive, contraire au principe de disponibilité en tout temps et en tous lieux des militaires. L’ultima ratio de la Nation ne peut dépendre de règles sur le temps de travail” a martelé Florence Parly devant les sénateurs.

Pour Jean-Pierre Chevènement « ce serait un coup mortel porté à notre défense”

Hier, dans le Monde, c’est l’un des ses prédécesseurs, Jean-Pierre Chevènement, qui a alerté sur la menace dans une tribune co-écrite avec Cédric Perrin, sénateur du Territoire de Belfort (LR), vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, dans Le Monde.  “L’action de nos militaires n’est guère compatible avec les 35 heures et disons-le clairement : ce serait un coup mortel porté à notre défense” écrivent l’ancien ministre de la Défense, de l’Intérieur et maire de Belfort – ville du 35ème régiment d’Infanterie- et le sénateur Cédric Perrin.

Cette menace a conduit aussi le Haut comité à l’évaluation de la condition militaire, le HCECM, à formuler un avis dans lequel il prend clairement position sur 3 points principaux.

Le Haut comité, présidé par le conseiller d’état Francis Lamy, qui connaît bien la Gendarmerie et les forces armées pour avoir été préfet de département à plusieurs reprises, considère premièrement que l’application de la directive du temps de travail aux militaires “remettrait en cause les fondements de l’état militaire, qui exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, disponibilité.

Le HCECM estime deuxièmement “que l’application de la directive risquerait au contraire de conduire à un affaiblissement de la condition militaire en raison d’une moindre disponibilité de l’encadrement et d’une plus grande vulnérabilité en opération, du fait d’une dégradation des conditions de préparation des missions et de l’entraînement”.

que l’application de la directive risquerait au contraire de conduire à un affaiblissement de la condition militaire en raison d’une moindre disponibilité de l’encadrement et d’une plus grande vulnérabilité en opération, du fait d’une dégradation des conditions de préparation des missions et de l’entraînement

3ème argument du Haut comité : il considère que “au-delà des règles précises de la directive, que la détermination et l’organisation du temps de service des militaires, dans ses principes comme dans ses modalités, doivent relever des seules autorités responsables de la sécurité nationale.”  

Sur le même thème : Général Cavallier : “la directive temps de travail est une menace inacceptable pour la protection des Français”

Avis intégral du HCEM

L’éventualité de la reconnaissance par la Cour de justice de l’Union européenne de l’applicabilité de la directive du 4 novembre 2003, dite “du temps de travail”, aux militaires conduit le Haut comité d’évaluation de la condition militaire à formuler l’avis suivant.

Il rappelle au préalable :

que le temps que consacrent les militaires à leur mission fait partie intégrante de la condition militaire que le Haut comité est chargé d’évaluer en vertu de l’article L.4111-1 du code de la défense, comme les autres obligations et sujétions propres à l’état militaire ;

que la condition militaire, dans chacune de ses composantes, ne peut se concevoir, s’envisager ou être interrogée qu’en lien avec les objectifs de défense et la mission des forces armées.

1) Le Haut comité rappelle en premier lieu que les principes auxquels obéit le temps de service des militaires sont liés à un modèle d’armée d’emploi

Le temps de service des militaires obéit d’abord à l’exigence fondamentale de disponibilité “en tous temps et en tous lieux” du militaire, inhérente à l’état militaire, et découlant directement de la mission de l’armée de la République énoncée à l’article L.4111-1 : “ …préparer et … assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation”, une armée d’emploi, dotée de la dissuasion nucléaire, dont les responsabilités sont mondiales, et qui offre une contribution essentielle à la sécurité des pays de l’Union.

Cette exigence a un fondement constitutionnel : “la nécessaire libre disposition de la force armée” (Conseil constitutionnel n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014).

Parce qu’elles seraient incompatibles avec cette exigence, les règles fixant la durée de travail tant des salariés que des fonctionnaires ne sont pas applicables aux militaires.

Le temps de service des militaires – temps qu’ils consacrent à leur mission, c’est-à-dire présence dans les unités, entrainement, instruction, formation, participation à des missions de sécurité intérieure et extérieure, astreinte, etc…- est un élément structurant de l’organisation et du fonctionnement des forces armées.

Ce temps est déterminé par des règles et instructions propres, fixées par la hiérarchie militaire sous le contrôle du Gouvernement.

La compétence de ces autorités :

garantit que ces règles sont bien déterminées en fonction des objectifs de défense et des besoins opérationnels des forces armées et répondent aux exigences de la condition militaire ;
donne la souplesse maximale et la capacité d’adaptation immédiate : elles peuvent être modifiées suivant l’évolution de ces objectifs et besoins, et sans délai, pour faire face à toute urgence.

2) Le Haut comité considère que l’application de la directive du temps de travail aux militaires remettrait en cause ces principes

L’application de la directive aux forces armées serait en effet de nature à entraîner les conséquences suivantes :

une remise en cause des fondements de l’état militaire, qui “exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême … disponibilité… ”.

Le Haut comité a d’ailleurs pu mesurer dans ses échanges avec des militaires de tous grades combien l’éventualité de cette application suscite l’incompréhension tant elle heurte le sens de leur engagement et la réalité qu’ils vivent : le temps de service ne prend fin que quand la mission est terminée ;

des modifications substantielles de l’organisation et du fonctionnement des forces armées pour des raisons étrangères aux objectifs de défense : le temps de service n’y est pas individualisé alors que la directive impose un décompte individuel de ce temps, une limitation forte du travail de nuit, une planification rigide de l’activité, et un accord préalable de chaque personne pour la faire évoluer, ou encore un décompte précis des “récupérations” ;

du fait du contingentement de la disponibilité des militaires et des rigidités impliquées par sa mise en œuvre, une baisse de la capacité et de l’efficacité opérationnelle des forces armées.

S’il a été soutenu que l’application de la directive pourrait s’accompagner d’exemptions pour certaines unités, ou en opérations extérieures, ou encore dans certaines missions, le Haut comité souligne que cette éventualité, outre qu’elle n’atténuerait pas les objections relevées ci-dessus, conduirait à mettre en cause :

l’unité d’obligations et de sujétions des militaires, affaiblissant d’autant la cohésion des forces armées ;

le continuum formation – entrainement – déploiement, qui est la marque d’une armée professionnalisée et intégrée, et dont dépend sa capacité d’engagement.

Enfin, s’il a été soutenu que l’application de la directive permettrait d’améliorer la situation des militaires par l’application à leur bénéfice des droits et protections qu’elle reconnait aux “travailleurs” en matière de repos, et par là de santé ou de sécurité, le Haut comité souligne,

que l’application de la directive risquerait au contraire de conduire à un affaiblissement de la condition militaire en raison d’une moindre disponibilité de l’encadrement et d’une plus grande vulnérabilité en opération, du fait d’une dégradation des conditions de préparation des missions et de l’entraînement ;

que la protection des militaires en matière de repos, de santé ou de sécurité, constitutive de l’éthique du commandement militaire, est une exigence de la condition militaire ; que sa prise en compte est assurée aussi par l’existence de mécanismes de concertation dans les forces armées (présidents de catégorie, conseil supérieur de la fonction militaire) et qu’un ensemble de mesures et de dispositifs compensent les obligations et sujétions propres aux militaires comme les pensions militaires de retraite ou, s’agissant du temps de service, le régime des permissions ;

que l’organisation et le mode de fonctionnement des forces armées visent à garantir une gestion du temps de service qui ne mette pas en cause la condition militaire, faute de quoi ce serait le moral qui s’en ressentirait, la capacité de récupération des militaires qui serait fragilisée, la fidélisation qui serait en risque, l’attractivité du service des armes qui serait affaiblie et la capacité opérationnelle des forces armées atteinte.

La détermination et l’organisation du temps de service des militaires doivent relever des seules autorités responsables de la sécurité nationale.

3) Au-delà des règles précises de la directive, le Haut comité considère que la détermination et l’organisation du temps de service des militaires, dans ses principes comme dans ses modalités, doivent relever des seules autorités responsables de la sécurité nationale.

La disponibilité et le temps de service des militaires sont, par nature, des éléments dimensionnants de la capacité opérationnelle des forces armées.

Il en résulte que des règles régissant la disponibilité et le temps de service des militaires dont les autorités nationales civiles et militaires compétentes n’auraient pas la complète maîtrise, telle une directive communautaire édictant pour les États des règles contraignantes, sont, par elles-mêmes, incompatibles avec l’exigence constitutionnelle de libre disponibilité des forces armées. Du fait du lien direct entre la disponibilité des militaires et la capacité opérationnelle des forces armées, le temps de service des militaires est, en lui-même, un élément essentiel de la sécurité nationale. Or selon l’article 4§2 du traité de l’Union européenne, celle-ci “…respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre”. Sauf à priver ce principe d’effectivité et de réelle portée, il implique que l’État ait l’entière maîtrise des moyens humains et matériels de sa sécurité nationale, et par conséquent l’exclusive responsabilité et compétence de la détermination et de l’organisation du temps de service des militaires.