Adrien Bon, officier de Gendarmerie nous a fait parvenir cette tribune consécutive à la nomination du général Hubert Bonneau à la tête de la Gendarmerie. Ce militaire estime que la désignation du nouveau Directeur général constitue une première rupture dans la nomination cooptée des directeurs généraux et vient bousculer l’ordre établi dans ses formes. Pour lui elle est une opportunité de “remettre de l’ordre” dans la maison.
“Rétablir l’ordre”, telle est la priorité érigée par Monsieur le ministre de l’Intérieur , Bruno Retailleau lors de son discours d’entrée à Beauvau. Cette exhortation sonne comme une évidence après la cacophonie politique estivale symptôme d’un mal contemporain dont les rhizomes sociétaux ont aboli les obligations comme les hiérarchies.
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Pourtant la simple volonté ascendante de l’ordre aurait du mal à s’appliquer à un désordre par nature polymorphe et polycéphale si l’on considère les différents “ -isme ”gangrénant notre société démocratique. Elle a d’autant plus de mal à se faire entendre que l’État lui même n’est plus exemplaire à de nombreux niveaux. La figure de l’ordre et les figures du désordre s’égalisent ainsi dans l’opinion publique du “ à quoi bon ? ” consciente de ses droits mais refusant ses obligations.
Le “désordre” actuel est un nouvel ordre qui s’est bâti par complaisance au fil des années de renoncements face aux contradictions diverses soulevées par la société française qui n’a pas réussi à définir une identité. S’il n’est pas celui que nous avons cherché, il demeure celui qui s’est établi par défaut d’un ordre qui nous aurait intéressé. “Rétablir l’ordre” revient donc à supprimer cet ordre pour en faire surgir un autre par la pensée puis par l’action. Ordre souhaité et désordre subi, sont tous les deux portés par deux volontés (celle de l’État et celle diversifiée de groupuscules), l’une normalement majoritaire, centralisée et verticale, l’autre normalement minoritaire, décentralisée et horizontale. Inévitablement, l’existence de deux conceptions de l’ordre, l’une étant un désordre de l’autre, implique une opposition ouvrant à une confrontation. Dans cette dialectique des volontés contradictoires, le premier combat à mener a pour finalité la “paix publique” dont les gardiens sont les policiers et les gendarmes et dont le centre de gravité est la population.
Les militaires de la Gendarmerie sont probablement les plus à même de comprendre la philosophie de l’affrontement intérieur qui se joue. Premier corps à vocation de police de l’histoire de France, la Gendarmerie nationale “est une force armée instituée pour veiller à l’exécution des lois”. La nature militaire a toujours su trouver son caractère dans les périodes d’affrontement et de friction.
La gendarmerie devrait envisager ce tournant politique du retour à l’ordre en commençant par son propre ordre intérieur.
Tout “virement” ou “retour“ ne peut s’envisager sans une forme de rupture, un déséquilibre ou un “désordre”. C’est sous cet angle que doit être analysée la nomination du général Hubert Bonneau à la tête de la Gendarmerie nationale après une attente inédite. Cette nomination est venue bousculer une filiation tacite organisée mais jamais écrite des différents directeurs généraux depuis 2010. Une succession basée sur les individualités ambitieuses, globalement courtisanes et corporatistes créant sur les dernières années une “ambiance pseudo ludique, mais en réalité d’une normativité quasi-fasciste”. Conscient de cet ordre, leur suite de prétendants ne renoncent à aucune mission propitiatoire.
Il est donc devenu rituel, devant l’injonction du chef ou par une simple intuition courtisane, que l’officier de cabinet acquiesce une mauvaise décision par crainte ou sacrifie un camarade voire un sous-directeur pour conserver sa place…
Une idéologie dominante s’est installée au fur et à mesure d’une circulation fermée des tenants du pouvoir propre à produire un effet d’auto-confirmation et d’auto- satisfaction permanent. Les carrières à cinétique rapide tournent toujours autour des mêmes sphères de poste… La réussite ou le succès se sont toujours confondues avec la suprématie. Succès, mérite ou talent demeurent toutefois des faux-amis.
Remettre en place des filières internes d’excellence et d’expérience
La nomination du nouveau directeur général constitue donc une première rupture dans la nomination cooptée des directeurs généraux et vient bousculer l’ordre établi dans ses formes. Elle est une opportunité de “remettre de l’ordre” dans la maison en proposant un projet qui se trouvera également en rupture avec le système précédemment établi. Pour cela il faut pouvoir faire preuve d’introspection et de lucidité sans pudeur ou démagogie. Il sera l’occasion de remettre en place des filières internes d’excellence et d’expérience mettant fin à une forme de fatalisme interne conduisant à l’anomie. Rétablir des règles de gestion des ressources humaines compréhensibles, faites de jalons de carrières objectifs associant les grades aux responsabilités exercées et aux concours obtenus.
Rétablir le principe hiérarchique formel et le respect de la place de chacun dans un système qui fonctionne sur le principe de subsidiarité. Rétablir un ordre interne certes plus dur individuellement qu’auparavant mais fondamentalement plus juste collectivement.
La promesse politique de l’ordre pour la France est une promesse de l’aube pour la Gendarmerie.
Adrien Bon