Réélu pour un second mandat à la tête de la principale association professionnelle nationale militaire de Gendarmes (APNM), Gendarmes et Citoyens, partenaire de la Voix du Gendarme avec l’UNPRG, l’adjudant Thierry Guerrero, fait le point sur la Gendarmerie. Nouvelles brigades, état d’esprit des Gendarmes, grade d’adjudant à quatre ans de grade, diplôme d’arme rénové, usage des armes, ce sous-officier expérimenté comptant 32 ans de services en mobile et en départementale, dans l’hexagone comme outre-mer, répond à nos questions. Interview.
La Voix du Gendarme Quelle est votre analyse après l’annonce des 238 brigades. La Gendarmerie va-t-elle pouvoir armer ces nouvelles unités en termes de personnels et d’infrastructures ?
Thierry Guerrero Une augmentation des effectifs est toujours une bonne nouvelle. Certains y verront peut-être à y redire, notamment sur les affectations et sur l’emploi de ces nouveaux ETP (équivalents temps-plein), mais en ce qui me concerne, je me veux pragmatique sur le sujet. Nous avons crié au scandale sous deux autres quinquennats parce que l’on supprimait des postes. Nous n’allons tout de même pas dénigrer une mesure qui se veut positive. Pour les infrastructures, je n’ai pas d’inquiétude. L’étude de la création de ces nouvelles unité semble avoir été faite en collaboration avec les élus, les préfets, les commandants de groupement et la DGGN. Les critères choisis de cohérence et de faisabilité étant au cœur de cette étude, je pense sincèrement que le résultat final est plutôt satisfaisant. En ce qui concerne l’armement de ces nouvelles unités, il est bien évident que faire sortir des écoles plus de 2000 Gendarmes supplémentaires ne va pas se faire du jour au lendemain. Il y aura donc forcément une phase de transition avec des militaires déjà en poste pour armer ces unités. Il faudra des gradés pour assurer l’encadrement de ces nouvelles entités. Cette ressource proviendra d’unités existantes. Il se pourrait effectivement qu’un effet de bord provoque un déficit de cadres, le temps de la transition, dans les unités existantes. On peut imaginer que cela soit compensé par des tableaux d’avancements adjudant-chef et major plus importants les prochaines années. Nous verrons si c’est le cas lors de la parution des taux “Proposables/Proposés”.
LVDG Quel est l’état d’esprit de la base, des “brigadiers” au sujet des brigades mobiles et de la volonté de développer le “aller vers”, appelé de ses vœux par le Directeur général ?
TG Nous avons une doctrine chez AGEC depuis de nombreuses années qui est simple. “Il ne faut pas crier avant d’avoir mal”. Il est vrai que l’on peut lire parfois un certain scepticisme chez des camarades concernant les brigades mobiles. Encore une fois, attendons de voir. La doctrine d’emploi de ce type d’unité n’est pas encore connue. Il n’est évoqué pour l’instant que des pistes de travail. Pour autant, et faut-il le rappeler, l’ADN du Gendarme est quand même le contact avec la population qu’il sert au quotidien. Le Gendarme vit sur son lieu d’emploi, avec sa famille. Il est imbriqué étroitement dans le tissu social de sa circonscription. Vouloir mettre du Gendarme jusqu’au dernier mètre carré de terrain des communes rurales ne me semble pas être une hérésie. Ce qu’il faut surtout retenir de cela, c’est que de toute manière, si cette approche avec le politique a permis à la Gendarmerie de bénéficier de ces effectifs supplémentaires en si peu de temps, il ne faut pas ramer à contrecourant. A l’usage, si cela ne fonctionne pas, la DGGN aura tout loisir de réarticuler ses effectifs autrement mais les effectifs supplémentaires auront été attribués.
LVDG La cour des comptes alerte sur une vague de départs dans la Gendarmerie. Comment analysez vous ce phénomène, vous inquiète t-il ? et que faut il mettre en place pour retenir les militaires dans l’institution ?
TG La vague de départs n’est pas une surprise puisqu’elle était déjà anticipée et prise en compte par la DPM (maintenant DRH) il y a 3 ou 4 ans. Je me souviens d’ailleurs, il y a plusieurs années, lors d’un passage à la DGGN que ce sujet avait été évoqué par la Direction dans les termes suivants : “dans les 5 prochaines années, la Gendarmerie a un énorme challenge à relever puisqu’elle va devoir renouveler environ 40000 départs, ce qui est inédit pour l’institution”. On y est. Ce qui me dérange un peu dans le contexte actuel c’est que certains tentent de faire passer cela comme une “hémorragie” due à un ras-le-bol général des troupes. En réalité, de mémoire, des chiffres récemment communiqués, c’est environ 10 à 12 % des départs qui n’avaient pas été prévus en sus de ceux évoqués précédemment. On est loin d’une hémorragie, et ces départs peuvent avoir une multitude de raisons. Il faut aussi considérer que la société évolue, et que nous sommes forcément impactés naturellement. Aujourd’hui, le monde du travail est transformé et la crise COVID a également été un facteur de cette transformation. Actuellement, un jeune n’hésite plus à “tester” plusieurs métiers. C’est aussi grâce aux outils de formation ou de reconversion que lui mettent à disposition les différentes administrations ou les employeurs privés. Par le passé, on entrait dans la Gendarmerie avec la volonté de faire une carrière. Aujourd’hui, de nombreux jeunes y entrent “pour voir”, restent quelques années, puis repartent vers un autre métier. Faut-il s’en inquiéter ? Je ne sais pas mais en tout cas, je pense que les mesures récentes sur les grilles indiciaires et les perspectives de carrière qu’offre notre maison vont dans le bon sens pour inciter les jeunes à faire une carrière complète. Il n’y a pas que le côté financier à prendre en considération, mais en ces jours difficiles, ce sont tout de même des critères non négligeables.
LVDG : le niveau de recrutement a été revu à la baisse. Faut-il être inquiet sur l’avenir de l’Arme ? Pourquoi d’après vous, la Gendarmerie fait moins rêver la jeunesse ?
TG Je ne sais pas si la Gendarmerie fait moins rêver la jeunesse, mais le nombre important de candidats à chaque session de recrutement tend quand même à démontrer le contraire. Concernant le niveau qui serait revu à la baisse, je suis persuadé qu’il s’agit d’un faux débat. Cela fait maintenant 32 ans que je suis dans l’institution et je me souviens qu’à mes débuts, les anciens tenaient déjà ce discours du niveau en baisse du recrutement. Le syndrome du “c’était mieux avant”. Le recrutement s’adapte à la société dans laquelle nous évoluons. La Gendarmerie a toujours été une formidable porte d’entrée pour n’importe qui, issu de tout milieu social, de tout niveau scolaire. Aujourd’hui encore, quelle autre administration offre un ascenseur social aussi important que celui de la gendarmerie ? Je suis intimement convaincu qu’à trop vouloir être élitiste, on se perd et qu’au contraire, c’est le mélange qui fait notre richesse, à condition de tirer tout le monde vers le haut bien entendu.
LVDG Quels sont les retours auprès de votre association du diplôme d’arme rénové avec le monitorat d’intervention professionnelle inclus ?
TG Pour être honnête, les retours dont nous disposons ne sont clairement pas positifs. Mais il faut voir à l’usage et sur la durée. À ce stade, les camarades gradés de la mobile, des militaires très expérimentés, et dans lesquels nous avons une confiance absolue, estiment « qu’il y a un sérieux problème et nous allons droit dans le mur”. “Ils nous disent qu’ils se retrouvent avec de jeunes gradés sans aucune expérience et qu’ils ont vraiment la sensation d’un DA et d’un MIP dévalorisés ». Mais ne condamnons pas un dispositif avant qu’il n’ait été éprouvé.
LVDG Création de majors RULG (responsable d’unité locale de Gendarmerie), obtention du grade d’adjudant en quatre ans. La parité avec la Police nationale ne risque t-elle pas d’affaiblir la Gendarmerie et de dévaloriser le grade d’adjudant avec moins de Gendarmes et de chefs?
TG Pour le grade d’adjudant en 4 ans, c’est le fameux verre à moitié vide ou à moitié plein ! Chacun y verra soit une dévalorisation du grade, soit une formidable avancée. Je suis optimiste et je regarde le verre à moitié plein. Ce qui compte dans cette mesure, c’est qu’il faut arrêter de regarder en arrière en comparant les adjudants tels que nous les connaissions il y a une dizaine d’années, voire un peu moins. Nous n’avons en réalité fait que rattraper le retard que nous avions. Si l’on s’abandonne absolument à faire la comparaison avec nos amis de la Police, on doit convenir qu’il y a toujours eu ce décalage dans les deux maisons entre grade et responsabilités. Il y a 20 ans, si vous vouliez aller chercher l’équivalent en termes de responsabilité d’un Gendarme OPJ, il fallait viser les grades supérieurs des policiers en tenue. De la cohérence a été remise entre les deux maisons. Ce qui semble d’autant plus logique depuis que nous sommes sous la tutelle du même ministère. Pour autant, et c’est bien là où l’institution ne doit pas faire d’erreur, c’est de ne pas laisser sur le carreau les militaires se trouvant bien avancé dans la carrière et ne pas commettre les mêmes errements que lors de la mise en œuvre du PAGRE (1). Une fracture entre deux générations s’est faite et n’a jamais pu être réduite. Dans ce réservoir “d’anciens”, il y a, de fait, un potentiel vivier de cadres en devenir. Par effet domino, le major RULG coule de source. En réalité, et pour résumer mon propos, ce sont surtout les mentalités parfois un peu archaïques qu’il faut commencer à changer.
LVDG : La lourde condamnation d’un Gendarme aux assises pour un usage des armes mortel à l’occasion d’un refus d’obtempérer est un choc dans l’Arme. Les règles de l’usage des armes sont-elles suffisamment claires pour avoir des Gendarmes sereins sur le terrain et qui ne soient pas terrorisés à l’idée d’ouvrir le feu? et sont-elles adaptées à l’augmentation de la violence à leur encontre et à des situations très complexes sur le terrain avec de surcroît une remise en cause de plus en plus importante de l’autorité des forces de l’ordre avec la caisse de résonance que constituent les réseaux sociaux?
TG : La condamnation d’un Gendarme, peu importe les raisons d’ailleurs, est toujours difficile à appréhender. Dans le cadre d’un usage des armes et de la légitime défense, c’est encore différent puisque c’est par définition un champ spécifique applicable aux forces de l’ordre. C’est par conséquent, un domaine que le citoyen lambda ne peut comprendre. La médiatisation à outrance et les réseaux sociaux ne sont pas non plus des modèles où aller chercher de la sérénité dans les débats ! Abreuvé de séries TV et autres films d’actions, la réalité “balistique” échappe au commun des mortels, et engendre des débats improbables. Mais pourquoi le Gendarme n’a pas visé les pneus pour arrêter la voiture ? Pourquoi le Gendarme ne lui a pas tiré dans la main ou la jambe pour le désarmer ? Pourquoi a-t-il fallu six cartouches pour stopper l’individu, c’est de l’acharnement. La liste des reproches n’est pas exhaustive. Une chose est sûre. Le Gendarme, le jour venu, sera seul devant la décision à prendre et cette décision sera le résultat de son expérience en conservant à l’esprit le contexte sociétal. Pour moi, il n’y a pas de secret ! De la formation et de l’instruction continue ! On ne pourra jamais éduquer celui qui n’est pas soldat de la loi à la réalité des effets d’une cartouche de 9 mn. Malgré cela, le tableau n’est pas aussi noir en ce qui concerne la Gendarmerie. Je note que globalement, les usages des armes dans la Gendarmerie sont plutôt bien maîtrisés et contenus dans une période de dégradations des interventions. Les condamnations de militaires sur les usages des armes non légitimes sont marginales.
Je terminerai mon propos sur ce sujet avec ce qui est, à mon sens, la seule question à se poser dans le cadre de l’usage des armes. Cette philosophie à laquelle je m’astreins est celle de “l’absolue nécessité”. Je suis convaincu que c’est ce qui nous préserve le mieux, tant des juges, que de notre conscience.
LVDG Pour finir, quel est votre constat sur l’état de la Gendarmerie, comment la voyez vous évoluer et s’il y avait une mesure urgente à adopter quelle serait -elle ?
TG Après 32 ans carrière sur le terrain et en toute objectivité, je dirais que globalement, depuis environ une dizaine d’années, la Gendarmerie se porte plutôt bien. Si on analyse les conditions de travail du Gendarme, nous avons (presque) cessé de rouler dans des épaves. Le matériel informatique et les logiciels ont considérablement évolué. En vrac, l’arrivée du terminal Neogend a facilité le quotidien, l’instruction 36132 sur le temps de travail a sacralisé la récupération physique, une chaîne de concertation rénovée qui fonctionne et surtout l’arrivée des APNM dans ce paysage permettent une amélioration de la condition du Gendarme. Les conditions de logement sont encore perfectibles dans certains endroits mais la dynamique de rénovation va dans le bon sens.
En résumé, si la question est : “ai-je l’impression que ma condition de Gendarme a évolué positivement depuis le début de ma carrière ? ”, la réponse est oui sans hésitation. Pour autant, tout n’est pas rose et il y a encore beaucoup de choses à améliorer. Il existe encore des chantiers récurrents qui ne semblent pas avancer. Je pense aux tâches indues encore trop présentes au sein des unités, les procurations, la simplification des écritures pour ne citer que celles-ci.
Sur l’évolution de l’Institution, je suis plutôt optimiste. Si vous m’aviez posé la question il y a 15 ans, je vous aurais dit l’inverse. A cette époque, je pensais sincèrement que nous allions être absorbés par la Police et que la Gendarmerie mourrait lentement. Aujourd’hui, je suis convaincu du contraire. Le modèle le plus viable est le nôtre, par notre culture militaire et notre organisation qui s’appuie sur les femmes et hommes qui la composent.
Si je devais évoquer une mesure urgente à mettre en œuvre, elle consisterait, sans hésiter, à prendre à bras le corps la question du logement. Il est inadmissible que des logements indignes, voire insalubres, soient affectés à des Gendarmes et leur famille. Dès qu’un problème de ce type est identifié, nous devrions avoir la capacité de les reloger sans délai, soit le temps d’une rénovation, soit définitivement avec prise à bail extérieure. Il n’y a pas à tergiverser sur ce sujet. La priorité doit être imposée par la DGGN aux commandants des formations administratives.
Propos recueillis par Didier CHALUMEAU
(1) Plan d’adaptation des grades aux responsabilités exercées
Gendarmes et Citoyens : entre 2500 et 3000 saisines par an
L’APNM Gendarmes et Citoyens enregistre une augmentation annuelle de ses adhésions et de ses soutiens. “Il y a 10 ans déjà nous nous étions “spécialisés” dans la saisine individuelle avec une plateforme d’écoute et de conseil à disposition de nos camarades et des familles 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, désormais nous tournons en moyenne à 2500/3000 saisines par an” explique le directeur de l’APNM, Jérémy Langlade qui constate une augmentation des saisines dites administratives / disciplinaires avec le concours de l’APNM dans de nombreux conseils d’enquêtes et en soutien devant les tribunaux. “60 % de nos saisines sont le fait de sous-officiers, 30 % d’officiers, principalement niveau communautés de brigades et compagnie et 10 % du corps de soutien” détaille le responsable. “Si nous avons tendance à ne voir à travers les saisines que le négatif, il apparait néanmoins que nos camarades ayant besoin d’aide ne sont pas forcément des déçus de l’arme et que de manière générale, lors de nos échanges et une fois le “souci” réglé ou écarté, la tendance est plutôt positive s’agissant de l’institution” analyse Jérémy Langlade.