Sollicité par La Voix du Gendarme dont il est l’un des conseillers, le général de division (2S) Bertrand Cavallier, expert en maintien de l’ordre, instructeur en intervention professionnelle, ancien chef du Centre national de formation et d’entraînement des forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier, analyse le rapport du Sénat au sujet du “fiasco” du stade de France. S’il estime que le rapport de la haute assemblée “envoie un message puissant aux pouvoirs publics”, il constate que les rapporteurs n’ont manifestement pas disposé de toutes les informations, relevant du niveau tactique, “trop souvent ignoré et pourtant si déterminant pour garantir l’effet final recherché”. Concernant la recommandation N°8 sur la nécessité de définir une doctrine d’emploi des gaz lacrymogènes, le général Cavallier estime implicitement qu’elle est inutile car l’emploi des gaz lacrymogènes est réglementé par le Code de la sécurité intérieure. (article R211-13)
Le général Cavallier analyse aussi le “fiasco” et relève une erreur d’analyse majeure de la préfecture de police dans le dispositif aux abords du stade et se demande s’il était opportun d’engager une BRAV, alors qu’un escadron de gendarmerie mobile était disponible?
Moins de deux mois après l’organisation de la finale de Ligue des Champions de football, le 28 mai dernier, au stade de France, la mission d’information conduite par le Sénat a remis son rapport. Le bilan général est sans appel, et aujourd’hui recueille un avis unanime dans la classe politique. Ce qui a été dénommé “incidents” constitue un grave échec sur le plan sécuritaire qui renvoyant aux images de chaos sur la place de l’étoile et les Champs Elysées en 2018 et 2019, porte atteinte à l’image de notre pays et peut légitimement conduire des états étrangers à s’interroger sur “la capacité de la France à organiser de grands évènements sportifs”.
Le rapport du Sénat est dense, très argumenté, et envoie un message puissant aux pouvoirs publics pour prévenir de tels évènements. S’agissant du volet sécurité, deux constats sont mis en avant :
“Une protection des biens et des personnes sous-dimensionnée”
“Un dispositif rigide et fragile qui a abouti à un usage de la force qui choque l’opinion publique française et internationale”.
Toutefois, il semblerait qu’il n’ait pas disposé de toutes les informations nécessaires, notamment relevant du niveau tactique qui est trop ignoré, pour identifier certaines causes majeures des dysfonctionnements constatés et qui relèvent pour partie de phénomènes structurels.
S’agissant du premier point, le dispositif de sécurité a été concentré sur les abords immédiats du stade de France, en faisant l’impasse sur les abords rapprochés et éloignés, soit dans la profondeur de l’environnement des installations sportives. Or il s’agit d’un territoire objectivement caractérisé par une forte délinquance – constituée notamment d’étrangers en situation irrégulière – qui imposait donc le déploiement, notamment sur des points clés jalonnant les itinéraires empruntés par les supporters, en particulier celui conduisant à la station de la ligne 13 via la passerelle de l’Écluse, d’unités de la sécurité publique, voire d’éléments de la police judiciaire. On connaît la suite avec ces bandes de prédateurs terrorisant durant des heures des milliers de supporters sans protection.
Une erreur d’analyse majeure
Cette erreur d’analyse majeure pose la question de l’amélioration au sein de la Préfecture de police des capacités d’élaboration en amont des opérations selon une méthode précise, rationnelle, englobant l’ensemble des données, dont celles portant sur la nature de l’environnement, l’analyse objective de l’adversaire potentiel….devant déboucher sur la formalisation d’une conception de manoeuvre ayant recueilli l’avis de l’ensemble des acteurs engagés dont évidemment ceux opérationnels, et validée par le représentant de l’Etat, voire le cabinet du ministre.
Concernant le second point, il faut bien comprendre que la conduite de la manoeuvre qui, conditionnée notamment par l’omnipotence de la salle opérationnelle et de son réseau de caméras, reste problématique de par son hyper centralisation, sa rigidité, sa non sollicitation des échelons intermédiaires du niveau groupement tactique de gendarmerie mobile ou groupement opérationnel des CRS.
Or, s’inscrivant bien évidemment dans une verticalité, selon une logique de subsidiarité, ces niveaux de commandement ayant vocation à engerber plusieurs unités (escadrons de GM ou compagnies de CRS) dans un comportement de terrain donné, sont ceux qui garantissent la cohérence tactique.
Neuf escadrons engagés
En effet, disposant d’une vision au plus prés, ce sont les acteurs qui, dans le cadre des directives données par les représentants de l’autorité civile – qui ne sauraient se mêler de l’exécution de la mission, ce qui est trop souvent le cas -, peuvent apprécier l’évolution de la situation, donc anticiper, et adapter le dispositif en privilégiant les modes d’action les plus adaptés pour garantir le succès de la mission, en graduant notamment de façon la plus juste l’usage de la force. En l’occurence, quel était le rôle confié à l’officier supérieur de Gendarmerie commandant le groupement tactique Gendarmerie (GTG) alors que neuf escadrons de GM étaient engagés ? N’aurait-on pas pu découper le terrain autour du stade en deux secteurs, confiés chacun à un GTG et qui auraient garanti une plus grande efficacité opérationnelle, en optimisant la manoeuvre, notamment par des bascules d’éléments, en adaptant de la façon la plus juste l’usage de la force, en particulier des gaz lacrymogènes qui selon des militaires engagés ne se justifiait pas dans ces proportions.
Ce constat est récurrent sur la plaque parisienne tant de la part des CRS que des GM.
Le Sénat formule un certain nombre de recommandations dont une qui appelle des commentaires : “ Recommandation n° 8 (ministère de l’intérieur) : définir une doctrine d’emploi du gaz lacrymogène par les agents des forces de sécurité qui prévienne l’exposition de personnes ne présentant pas pour eux un danger immédiat”.
Tout d’abord, l’on peut s’étonner suite à des dysfonctionnements, comme ce fut le cas de façon parfois gravissime lors de la crise des “gilets jaunes”, je parle évidemment de l’usage débridé du LBD, de la tendance aisée d’accuser la doctrine.
En l’espèce, l’emploi des gaz lacrymogènes procède du Code de la sécurité intérieure qui énonce clairement les principes d’absolue nécessité et de proportionnalité dans l’usage de la force.
En l’espèce, l’emploi des gaz lacrymogènes procède du Code de la sécurité intérieure qui énonce clairement les principes d’absolue nécessité et de proportionnalité dans l’usage de la force. Par ailleurs, il s’inscrit de façon précise dans la doctrine qui prévaut au sein notamment des professionnels du maintien de l’ordre que sont les gendarmes mobiles et les CRS, rompus à faire face à toutes les situations avec discernement.
Était-il opportun d’engager une BRAV, alors qu’un escadron de gendarmerie mobile était disponible?
Or, était-il opportun d’engager une BRAV, dont je rappelle que ce sont des unités de circonstance non spécialisées dans le maintien de l’ordre, pour intervenir sur le parvis du stade alors qu’un escadron de gendarmerie mobile était disponible? Cette tendance désormais systématique dans la capitale et ses abords, de privilégier l’emploi des BRAV en lieu et place des EGM ou des CRS pour les actions dynamiques ponctuelles est, combinée avec l’absence de manoeuvre dans la conduite des opérations, un des facteurs des dysfonctionnements constatés dans l’usage de la force. Je ne nie pas l’intérêt de disposer d’éléments motorisés rapidement projetables pour contrer notamment des troubles périphériques, mais il est indispensable de revenir à l’emploi privilégié des unités spécialisées, disposant pour la Gendarmerie des PI (Pelotons d’intervention), pour les CRS des SPI (sections de protection et d’intervention) aptes, dans un dispositif homogène, cohérent, avec des appuis lanceurs de grenades, tireurs LBD) bien coordonnés et maîtrisés, de mener les actions confiées actuellement aux BRAV.
Gendarmes mobiles et CRS seront très sollicités dans les mois à venir.
Dans une France confrontée à une montée des désordres dus notamment à la précarité, mais aussi à la fracturation culturelle, nous disposons de capacités très professionnelles (GM, CRS) dont il serait souhaitable que la représentation nationale recueille de façon directe l’avis de leurs chefs, pour mieux saisir les problèmes rencontrés.
GM et CRS seront très sollicités dans les mois à venir. Ils doivent disposer de toutes les conditions requises pour continuer leur fonction essentielle de protection des institutions et de préservation de la cohésion du corps social.