Quel avenir pour les pelotons d’intervention de la Gendarmerie mobile interroge le colonel (ER) Philippe Cholous

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Dans une tribune, le colonel (ER) Philippe Cholous

L’institution a fêté avec éclat les 100 ans de la Gendarmerie mobile, subdivision d’Arme qui fut pendant longtemps le creuset pour tous les officiers et nombre de sous-officiers, et qui le demeure pour nombre d’entre eux. Cette juste marque de reconnaissance a été appréciée de tous tant il est vrai que la mobile a su devenir incontournable non seulement dans le maintien et le rétablissement de l’ordre qui constituent à la fois sa raison d’être et son cœur de métier, mais également dans l’appui continu et grandissant à la gendarmerie départementale, socle territorial de l’Arme. C’est ainsi que l’intervention professionnelle et l’intervention spécialisée sont, faut-il le rappeler, nées en Gendarmerie mobile.

De fait, la Gendarmerie est par essence un système militaire global dédié à la gestion de toute forme de crises, quelle que soit leur intensité. Dans ce système, chacune de ses composantes (écoles et centres d’instruction spécialisée, gendarmeries départementale, mobile, spécialisées, unité blindée, forces aériennes, maritimes, nautiques, cynophiles, spéléologiques, de police technique et scientifique, de police judiciaire, d’observation et de surveillance, de sécurité routière, d’intervention spécialisée, nucléaire radiologique biologique et chimique, d’appui à la mobilité, de service de santé des armées, négociateurs, Garde républicaine, logistique), joue un rôle singulier et complémentaire, ce qui donne au tout une réelle fluidité dans l’urgence et une capacité à monter immédiatement en puissance sans grand équivalent. C’est pourquoi, force de contrôle des espaces, l’Arme combine à merveille une authentique culture opérationnelle militaire, à une réactivité acquise à la faveur de son service du quotidien, le plus souvent mené de façon isolée et parfois dans les environnements les plus exigeants. Autonomie bien comprise, facultés d’adaptation et esprit de décision, caractérisent ainsi l’action en Gendarmerie.

S’agissant de la conception et de la conduite des opérations, l’Arme maîtrise le raisonnement aux niveaux opératif et tactique, ce qui lui permet de manœuvrer efficacement dans l’espace et dans le temps. La crise dite des gilets jaunes, la gestion des crises sociales aux Antilles en 2009 et 2021, les référendums en Nouvelle-Calédonie, les sommets internationaux à Evian et à Strasbourg, les récentes opérations de traques de terroristes ou d’amoks en métropoles, sont entre autres, autant d’exemples récents de ce mode de fonctionnement d’une grande efficacité. Dans ce cadre, la Gendarmerie mobile par sa culture de l’urgence et son caractère immédiatement projetable, est un outil privilégié d’application des efforts là où les besoins se font sentir.

Depuis une trentaine d’années, face à la montée du terrorisme, à l’étonnant brouillage de la notion d’autorité dans les familles et à l’incroyable radicalisation des rapports qu’une minorité violente de nos compatriotes entretiennent désormais avec la force publique, la Gendarmerie souvent seule émanation de l’Etat dans des zones paupérisées ou désertifiées, a dû durcir son dispositif territorial afin de garantir à ses primo-intervenants un appui rapide en moyens opérationnels renforcés. Cette évolution progressive s’est traduite d’une part, par la montée en puissance des pelotons de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie (PSIG), d’autre part par la transformation des groupes de pelotons mobiles (GPM, puis GPIOM) et pelotons d’intervention de deuxième génération (PI2G), en autant d’antennes du groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN). Ce dispositif de proximité s’est par ailleurs étoffé avec la création d’unités d’intervention spécialisées, pelotons d’intervention de la Garde républicaine (PIGR), les pelotons spécialisés de protection de la Gendarmerie (PSPG) et les pelotons de sûreté maritime et portuaire (PSMP).

 “Les faits sont têtus” et il ne vient à l’idée de personne de contester ces évolutions qui répondent à des tendances géopolitiques et sécuritaires de fond qui dépassent très largement le cadre de l’Arme. Toutefois, ces restructurations internes à l’Arme posent une vraie difficulté qu’il importe de prendre en compte, c’est-à-dire la question de l’avenir réservé aux pelotons d’interventions de la gendarmerie mobile (PIGM), qui fournissent jusqu’à présent un remarquable appui en intervention professionnelle et en franchissement opérationnel aux unités de terrain, et qui constituent un véritable facteur d’émulation au sein de chaque escadron de gendarmerie mobile (EGM). Quelle est désormais leur place de ces 109 unités d’élite dans la chaîne de l’intervention ? 

Il importe à ce stade d’évacuer la tentation réductrice qui consisterait à vouloir recentrer l’emploi des PIGM sur les seules missions de rétablissement de l’ordre. A l’analyse, cette option illusoire nécessiterait d’une part une véritable volonté administrative et politique d’interpeller les auteurs d’exactions lors des manifestations, ce qui n’est pas actuellement le cas, d’autre part des mesures d’accompagnement que la Gendarmerie ne semble pas disposée à entrevoir. En effet, pour des raisons de gestion, les escadrons sont désormais le plus souvent engagés en configuration dégradée, c’est-à-dire à 3 pelotons, ce qui ne laisse malheureusement que peu d’opportunités pour utiliser véritablement les PI dans des actions spécifiques, offensives ou encadrantes. En outre, la raréfaction à venir du passage des unités de Gendarmerie mobile, et partant de leur PI, en recyclage au centre national d’entraînement des forces de Saint-Astier (CNEFG), concourra à une perte sensible de leurs savoir-faire et cohésion au MO/RO.  L’inquiétude est d’autant plus grande et légitime en Gendarmerie mobile que paradoxalement le GIGN s’implique désormais dans le haut du spectre du rétablissement de l’ordre, qui est pourtant la raison d’être première de la GM en général et de ses PI en particulier.

Posons-nous quelques instants pour analyser de façon objective ce qui se passe. Les fusils de précisions TIKKA ont été retirés des EGM, alors même qu’équipements et savoir-faire avait été parfaitement acquis et maîtrisés. De récents entraînements au CNEFG, ont eu pour objet le remplacement par le GIGN des PI dans leurs missions spécialisées de rétablissement de l’ordre. Tous les derniers exercices relatifs à la chaîne de l’intervention, au premier rang desquels celui d’envergure organisé en région Auvergne/ Rhône-Alpes, excluent désormais systématiquement les PIGM et la GM tout court, de la gestion de ce type de crise. Pris en tenaille tant en intervention qu’en rétablissement de l’ordre entre d’une part les PSIG, d’autre part le GIGN, les PIGM s’en trouvent marginalisés. A cette marginalisation, s’ajoute l’accès désormais ouvert aux militaires des PSIG et des pelotons spécialisés de protection de la Gendarmerie (PSPG), à un diplôme d’Arme adapté (DA) assorti du monitorat d’intervention professionnel (MIP). Les capacités de l’Arme en formation n’étant pas extensibles, cette ouverture se fera mathématiquement aux dépens de la Gendarmerie mobile ici remise en question dans sa fonction de creuset et de vivier. Elles se fera aussi aux dépens des militaire de la Gendarmerie mobile eux-mêmes, dont l’accès au diplôme d’Arme et aux formations en intervention professionnelle sera à l’inverse, rendu beaucoup plus difficile. Elle se fera enfin aux dépens des unités territoriales, dont certains éléments, parmi les plus motivés, se détourneront du diplôme d’officier de police judiciaire (OPJ).

Il convient de préciser deux choses à ce stade. En premier lieu, je n’écris pas cette tribune d’initiative, mais à la demande insistante et répétée de très nombreux sous-officiers et officiers servant ou ayant servi en mobile, qui ont le sentiment de ne pas être entendus sur cette question. En second lieu, et que l’on ne s’y trompe pas, je n’ai aucun parti pris à ce sujet, mais une conviction établie à l’aune de l’expérience. J’ai commandé une équipe légère d’intervention, et j’ai mesuré la valeur de ce type d’unité, puis un groupe de pelotons mobiles, assurant avant l’heure des missions d’intervention spécialisée. Puis ce fut une compagnie de Gendarmerie départementale dépourvue de PSIG, raison pour laquelle j’ai pleinement mesuré par défaut l’intérêt de cet outil de surveillance et d’intervention. A la tête d’un groupement de Gendarmerie mobile, j’ai pu m’assurer de la pertinence de l’intervention professionnelle, des pelotons d’intervention et de la structure quaternaire des EGM. Enfin, en novembre 2006 lors d’un homicide suivi d’une prise d’otage à la Moutonne, j’ai participé sous l’autorité directe du général Jean-Marie Verrando alors commandant de groupement du Var, à la mise en œuvre progressive et complète de l’ensemble de la chaine de l’intervention, brigade territoriale, escadron départemental de sécurité routière, section aérienne, PSIG, PI, GIGN. Ce fut l’occasion de confirmer les qualités et niveaux des différentes unités qui engagées de façon intelligente et complémentaire, ont concouru à la gestion exemplaire de ce cas d’une grande complexité.

Aujourd’hui, la question est simple. La Gendarmerie dispose de 109 pelotons d’intervention qui constituent une force de frappe extraordinaire. Ces pelotons d’intervention voient leur emploi et donc leur existence aujourd’hui menacés par des décisions distinctes, qui mises bout-à-bout risquent de conduire à exclure les PIGM de la chaîne de l’intervention, voire même à remettre en cause leur existence même aux maintien et rétablissement de l’ordre. Par conséquent, il me semble qu’une attention particulière doit être apportée aux PIGM, afin que soit respectées leur primauté dans le domaine des interventions dans le cadre du MO/RO, et leur place dans le schéma national d’intervention des forces de sécurité.