Médaille du terrorisme aux Gendarmes d’Ouvéa : un refus qui pose question

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Les membres du GIGN dans le bus réquisitionné pour se rendre sur le lieu de la prise d'otages le plus rapidement. Photo Jean-Marie Grivel

Le refus du ministère de la Justice d’accorder la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme aux Gendarmes tués, blessés pris en otage lors des événements d’Ouvéa en avril 1988 interpelle les Gendarmes concernés mais pas seulement. Ainsi Guillaume Denoix de Saint-Marc, directeur de l’association française des Victimes du Terrorisme s’interroge sur cette décision. Le magistrat Jean Bianconi, présent aux côtés des Gendarmes sur les lieux et acteur clé de ce drame, souhaite une juste reconnaissance du sacrifice des Gendarmes.

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Plusieurs Gendarmes, une dizaine selon nos informations, ont reçu en ordre dispersé des courriers du ministère de la Justice les informant de son refus. C’est en effet ce ministère qui étudie les dossiers avant de les transmettre au Premier ministre et à la Grande chancellerie de la Légion d’honneur.

La réponse de la chancellerie à la Voix du Gendarme

La Voix du Gendarme a contacté la chancellerie à ce sujet en septembre dernier. Voici la réponse de la porte-parole en date du 30 septembre.

L’article 2 du décret n° 2016-949 du 12 juillet 2016 prévoit que “la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme est décernée aux français tués, blessés ou séquestrés lors d’actes terroristes commis sur le territoire national ou à l’étranger, et aux étrangers tués, blessés ou séquestrés lors d’actes terroristes commis sur le territoire national ou à l’étranger contre les intérêts de la République française, à compter du 1er janvier 1974.”

S’agissant des demandes dont vous faites état, l’intégralité des faits ayant été amnistiés et les faits n’ayant jamais été qualifiés d’actes terroristes par les autorités judiciaires (une qualification de droit commun avait été retenue), les demandes d’attribution de médailles ont été déclarées irrecevables.

Guillaume Denoix de Saint-Marc encourage les Gendarmes et les militaires à demander cette médaille.

Pour le fondateur et directeur de l’association française des victimes du Terrorisme qui propose aux demandeurs d’accompagner leur demande, les Gendarmes d’Ouvéa, mais aussi les paras morts dans l’attentat du Drakkar et d’autres, séquestrés ou attaqués pour des raisons politiques, doivent demander ou redemander cette médaille. “Elle est faite pour cela, et des militaires ayant été victimes d’un attentat l’ont déjà obtenue.“Cette distinction qui a été très décriée au début dans le monde militaire a une particularité, c’est la seule qui n’honore pas des mérites, mais une action qu’on a subi” poursuit le directeur de l’AFVT, membre d’une famille comptant de nombreux militaires dont le célèbre Hélie Denoix de Saint-Marc, son grand-oncle.

Le Principe de cette décoration est qu’on ne doit pas rentrer dans des considérations politiques, pour l’affaire d’Ouvéa, l’argument de l’amnistie ne tient pas, car il ne s’agit pas de désigner les auteurs des faits comme des terroristes, mais de dire qu’il s’agit d’un acte terroriste, en l’occurence un acte motivé par des raisons politiques, ce qui est le cas« 

Concernant l’autre argument d’absence de qualification terroriste des faits, Guillaume Denoix de Saint-Marc, – dont le père est décédé dans l’attentat du DC10 d’UTA, vol UT772 en 1989 – avance “qu’à époque, on ne parlait pas de terrorisme, et le parquet antiterroriste n’existait pas, c’était du cas par cas”.

Je m’interroge sur cette décision, je ne suis pas historien, mais il faut des justificatifs autres pour que cette médaille soit refusée”.

Ouvéa : un acte terroriste selon Jacques Chirac

Bernard Meunier, qui était au nombre des six otages du GIGN à Ouvéa avec les Gendarmes mobiles des escadrons d’Antibes et Villeneuve d’Ascq a vu lui aussi sa demande être rétoquée par les services du garde des Sceaux.

Pour ce fils de Gendarme, président d’honneur de l’UNPRG de la Côte d’Or, l’attaque de Fayoué “rentre bien dans la qualification d’acte de terrorisme puisque commise intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». C’était bien une entreprise collective (environ 35 kanaks durant l’attaque), et pour intimider le gouvernement en place, puisque c’était à l’entre deux tour des élections présidentielle

“Ce n’est pas une vision de l’esprit puisque c’est le droit qui le dit” et pour l’ancien du GIGN reconverti dans le conseil et co-auteur d’un livre sur les tueries de masse (*) “la vision du ministère de la Justice est actuellement purement politique”.

“Jacques Chirac parlait du FLNKS comme d’un groupe terroriste, mais cela n’aurait hélas aucune valeur juridique alors qu’il était Premier ministre” déplore Bernard et le ministère de la Justice qui considère que quoi qu’ils aient fait, ça n’a pas été terroriste mais une action de droit commun” poursuit Bernard Meunier pour lequel le ministère se trompe volontairement.

Cette analyse est fausse car cet attaque n’est pas uniquement une violation de la loi, mais bien un acte idéologique dans le but de terroriser pour obtenir quelque chose en l’espèce l’indépendance » argumente l’ancien Gendarme d’élite qui balaye aussi l’argument de l’amnistie.

Le fait qu’il y ait eu une amnistie des auteurs par voie de référendum, ça n’enlève rien à leur acte : Gendarmes abattus et achevés au sol, otages, et d’autres horreurs, ce n’est pas parce qu’une amnistie a eu lieu que l’histoire peut être réécrite, les faits sont là, et fait que la République n’ait pas eu envie de les condamner, c’est autre chose” poursuit Bernard Meunier.

Détenu à Ouvéa en dehors des conventions de Genève

Décoré de la valeur militaire à Marignane lors de l’assaut de l’airbus, officier de l’ordre national du Mérite, il s’est vu également refuser le statut d’ancien combattant, tout comme Jean-Marie Grivel, autre militaire du GIGN qui n’a pas été otage mais membre de la colonne d’assaut et qui a été gravement blessé tout comme le lieutenant Laurent Thimothée. Cité à l’ordre de l’armée avec la croix de la valeur militaire avec palme, il n’a ni la médaille des blessés de guerre ni la croix du combattant.. alors que l’opération Victor est une vraie opération de combat impliquant des parachutistes du 11ème choc, des commandos marine, du 17ème RGP équipés d’un lance flamme…

L’Etat ne reconnait pas cette opération Victor comme une opération de guerre, c’est-à-dire avec : “ actions de feu et de combat ”, et du coup, nous n’avons pas été éligibles à la carte ou la médaille du combattant pour laquelle les Gendarmes otages sont éligibles comme “ détenus par l’adversaire et privés de la protection des conventions de Genève.”

Pas d’acte de terrorisme, pas d’opération de guerre, tout a été fait pour ne pas légitimer le statut d’otage pour les Gendarmes et même la Gendarmerie a cautionné cette situation puisqu’elle aurait très bien pu reconnaitre leur statut et leurs souffrances dans l’exercice de leurs fonctions en leur remettant la médaille de la Gendarmerie

estime Bernard qui confie avoir été “surpris et déçu de cette incompréhension”.

“L’ensemble de nos camarades savent très bien que sans notre abnégation, c’est à dire donner notre vie pour aller en sauver d’autres, l’assaut aurait été un fiasco, puisqu’à plusieurs reprises les indépendantistes sont descendus dans la grotte tirer des rafales d’armes automatiques pour abattre les otages que nous protégions« .

Le magistrat Jean Bianconi, souhaite une reconnaissance du sacrifice des Gendarmes

Jean Bianconi, le magistrat en poste au parquet de Nouméa, fils de Gendarme qui a partagé pendant neuf jours le sort des otages et contribué à adoucir leur sort, “est tout à fait favorable à ce qu’ils reçoivent, enfin, la juste récompense de leur sacrifices.”

Lui qui connaît mieux que quiconque “la terrible épreuve qu’ils ont vécue avec courage et dignité” “se tient à la disposition de la Direction générale pour témoigner de l’action des Gendarmes”.

Il ne faudrait pas oublier le sacrifice des Gendarmes tués ou blessés ou pris en otages à Ouvea, qui, à ce jour, attendent toujours cet hommage »

estime le magistrat.

“La médaille de la Gendarmerie ou la valeur militaire serait une juste reconnaissance” confie à la Voix du Gendarme Jean Bianconi, ancien parachutiste au 61ème bataillon des transmissions aéroportées de Bayonne (BTAP) pendant son service.

Ce sentiment est partagé par nombre d’anciens acteurs d’Ouvéa qui se battent inlassablement en coulisses depuis de longues années pour faire honorer ces Gendarmes en dehors de toute polémique, tel le colonel (ER) Alain Benson, adjoint au colonel Alles, commandant les forces de Gendarmerie en Nouvelle Calédonie.

Qui est concerné par la médaille de reconnaissance aux victimes de terrorisme ? 

L’article 2 du décret précise que « la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme est décernée, à compter du 1er janvier 1974 :

  • Aux Français tués, blessés ou séquestrés lors d’actes terroristes commis sur le territoire national ou à l’étranger ;
  • Aux étrangers tués, blessés ou séquestrés lors d’actes terroristes commis sur le territoire national ou à l’étranger contre les intérêts de la République française».

Les victimes concernées par l’attribution de la médaille sont celles figurant sur la liste des victimes établie par le parquet de Paris et celle établie par le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme (jusqu’au 10 novembre 2017) ou figurant sur la liste partagée des victimes d’actes de terrorisme (à compter du 11 novembre 2017).

(1) Passage à l’acte (Kiwi éditions)

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