La cour de justice européenne relance le sujet du temps de travail des Gendarmes et des militaires

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Drone de la Gendarmerie (Photo d'illustration GendInfo.fr)

Le sujet du temps de travail des militaires, donc des Gendarmes revient sur la table par le biais des réquisitions de l’avocat général de la cour de justice européenne au sujet d’un litige concernant un ex sous-officier de l’armée slovène.

L’avocat général Henrik Saugmandsgaard propose “de séparer le “service courant”, pour lequel les directives 89/391 et 2003/88 sont applicables, des véritables “activités spécifiques” des forces armées, en particulier celles effectuées dans le cadre des opérations militaires et de la préparation opérationnelle, qui en sont exclues.”

Cette position de l’avocat de la cour de justice européenne a fait bondir la ministre des Armées au Sénat. “Je vais aller droit au but : je suis farouchement opposée à l’application de la directive, contraire au principe de disponibilité en tout temps et en tous lieux des militaires. L’ultima ratio de la Nation ne peut dépendre de règles sur le temps de travail” a martelé Florence Parly. “Etre militaire c’est une vocation au service de la Nation, ce n’est pas un métier comme les autres” a encore asséné la ministre.

Gendarmes & Citoyens se projette dans l’avenir

Au sein de la Gendarmerie, qui applique l’instruction provisoire n° 36132 du 8 juin 2016 , pas de réaction officielle mais un long billet publié sur son site par l’APNM Gendarmes & Citoyens.

Intitulé “La notion de service en tout temps et en tous lieux selon la lecture du droit européen !”; ce billet – à lire en intégralité ci-dessous – rappelle sur un ton décalé les fondamentaux du statut militaire. En toile de fond, l’APNM voit dans cette position de l’avocat général un danger pour le statut militaire de la Gendarmerie.

“La morale de l’histoire qui s’écrit aujourd’hui pour demain, c’est qu’à force de vouloir ressembler à un fonctionnaire on finit par le devenir ! Pourtant lorsqu’on intègre les Armées c’est pour être différent, avec une vision différente de l’engagement, même au quotidien.”

Un équilibre statutaire est toujours fragile et manipuler un domino peut s’avérer, à terme, très dangereux” conclue l’APNM.

L’avocat général va dans le sens de l’Allemagne

Dans un article titré : “La notion de service “en tout temps et en tout lieu” battue en brèche par le droit européen?” le site OPEX 360 détaille les réquisitions d’Henrik Saugmandsgaard. Devant se prononcer sur un contentieux opposant un ancien militaire de la petite armée slovène à sa hiérarchie au sujet de sa rémunération qui lui aurait dû versée “en contrepartie de l’activité de garde d’installations militaires qu’il a régulièrement effectuée au cours de son service”, l’avocat général a dû se prononcer sur le fait de savoir si les militaires des États membres relevaient ou non du champ d’application de la circulaire relative au temps de travail. In fine, la question était : “le temps de travail, y compris lors d’une telle activité de garde, doit-il être comptabilisé, aménagé et limité conformément aux prescriptions de cette directive?”.

Dans les conclusions qu’il a remises le 29 janvier dernier, Henrik Saugmandsgaard est allé dans le sens des arguments développés par l’Allemagne. Ainsi, dans les conclusions qu’il a remises le 29 janvier dernier, il a estimé qu’il conviendrait, “comme le suggère le gouvernement allemand, de séparer le “service courant” pour lequel les directives 89/391 et 2003/88 sont applicables, des véritables “activités spécifiques” des forces armées, en particulier celles effectuées dans le cadre des opérations militaires et de la préparation opérationnelle, qui en sont exclues.

La position du gouvernement français est que la fonction militaire est “singulière” par rapport à toutes les autres : seuls les militaires possèdent le droit de donner la mort, assorti du devoir de risquer leur propre vie si la mission l’exige”.

La transposition de cette directive 2003/88 est un serpent de mer en France.  En octobre 2017, le président Macron, pourtant  “très attaché aux institutions européennes” comme le rappelle le journaliste Laurent Lagneau d’OPEX 360 avait avait pris position en tant que chef des armées. “Sur ce sujet, du temps de travail, je dirai aussi très clairement que ma détermination est complète pour que, aussi bien la Gendarmerie que le ministère des Armées, ne soient pas concernés par la directive bien connue. […] Les choses sont claires, notifiées à qui de droit, et seront portées jusqu’à leur terme”, avait assuré Emmanuel Macron, lors d’un discours sur la politique de sécurité. 

Pour la France, écrit Laurent Lagneau,  “outre le fait qu’elle exigerait des besoins supplémentaires en personnels, l’application de la directive 2003/88 est incompatible avec le principe de “disponibilité”, c’est à dire de servir “en tout temps et en tout lieu” défini dans le statut général des militaires.”

Dans une tribune publiée par Le Figaro du 29 janvier 2021, l’ancien ministre, pourtant très pro européen, Jean-Louis Borloo n’y va pas par quatre chemins.  “La non-transposition par la France de la directive en ce qui concerne ses forces armées se justifie pleinement, car l’état militaire est très spécifique. Disponibles “en tout temps et en tout lieu” prêts à aller jusqu’au sacrifice suprême, astreints à une obligation de discipline et de solidarité renforcée, les militaires bénéficient d’un statut propre, protecteur des hommes et de la singularité du métier.”

Que dit la directive ?

 La directive européenne impose un repos journalier d’au moins 11 heures consécutives par période 24 heures, une pause hebdomadaire de 24 heures pour chaque période de 7 jours, un temps de travail de nuit ne devant pas dépasser huit heures en moyenne par jour et une durée de travail ne devant pas excéder les 48 heures par semaines, heures supplémentaires comprises.

La notion de service “en tout temps et en tous lieux” selon la lecture du droit européen !

Article de Gendarmes & Citoyens

Le mois de février 2021 s’anime avec une lecture récente de la définition du temps de travail dans les Armées par la Cour de Justice Européenne. Le contentieux ancien est sur la table des magistrats à la suite d’un litige qui vise l’Armée Slovène (1) et l’un de ses anciens sous-officiers.

La règle de base ? Ne jamais sous-estimer un sous-officier !

C’est un vieux serpent de mer qui remonte à la surface puisque déjà en octobre 2017 le président de la République, Emmanuel Macron, chef des Armées fraîchement élu avait clairement indiqué que la transposition du Droit européen ne pouvait pas concerner les Armées et la Gendarmerie et que l’accumulation des normes de droit ignorait la singularité du métier de militaire avec le risque de réduire l’aptitude à l’engagement.

Nous aurions aimé une telle détermination avec l’alourdissement artificiel de la procédure pénale !

Toutefois la Gendarmerie, à qui on ne compte plus fleurette, sortait son Instruction provisoire n° 36132 le 8 juin 2016 en y intégrant des aménagements d’une partie des prescriptions européennes. La mesure la plus ostensible est le repos journalier d’au moins 11 heures consécutives par période de 24 heures.

L’administration a toutefois évité d’être trop rigide dans l’application des directives car si on évoque 48 heures de travail maximum par semaine, on indique aussi ce droit à …. une pause hebdomadaire de 24 heures par période de 7 jours.

Un jour de repos par semaine. Voilà une avancée sociale !

Les contre-arguments qui s’opposent au droit européen sont nombreux. La France par exemple indique que cela exigerait des besoins supplémentaires en personnels associant une hausse des dépenses militaires et que la directive 2003/88 est incompatible avec le principe de “disponibilité”. Vous savez cette aptitude à servir “en tout temps et en tous lieux ”cet ADN scellé dans le Statut général des militaires. En outre, cela “banaliserait” le métier des armes en le rapprochant du travail des fonctionnaires civils.

Allez demander à un gendarme s’il est fonctionnaire ? Il va vous répondre quoi ?

Les motivations française et espagnole ne sont pas celles de nos voisins germains. Les arguments allemands sont audibles et c’est toute la richesse d’un débat. Leur point de vue fait valoir que les “militaires sont amenés à exercer, dans des conditions normales, au quotidien, bon nombre d’activités, souvent identiques ou semblables à des activités civiles qui ne présentent pas plus de particularités inhérentes que celles effectuées par des fonctionnaires.” En conséquence, “rien ne justifierait que les militaires soient exposés, davantage que ces fonctionnaires civils, à des risques pour leur santé et leur sécurité dans une telle situation.

Ja wohl !

On développe cette distinction entre le “service courant” et les activités dites “spécifiques” pour lesquelles la directive sur le temps de travail ne s’appliquerait pas. L’avocat général de la Cour de Justice Européenne (qui est un fonctionnaire) a cité les opérations extérieures et intérieures, ainsi que la formation initiale et la préparation opérationnelle, même si ces dernières sont exercées dans les conditions habituelles, conformément à la mission impartie aux forces armées.

La morale de l’histoire qui s’écrit aujourd’hui pour demain, c’est qu’à force de vouloir ressembler à un fonctionnaire on finit par le devenir ! Pourtant lorsqu’on intègre les Armées c’est pour être différent, avec une vision différente de l’engagement, même au quotidien.

N’oublions pas !

On ne peut écarter dans une lecture globale que les sujétions spécifiques du Gendarme sont compensées par 45 jours de congés par an, un Logement Concédé par Nécessité Absolue de Service, 2 jours de repos par semaine et des dispositions au titre des autorisations d’absence. Un équilibre statutaire est toujours fragile et manipuler un domino peut s’avérer, à terme, très dangereux.

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