David Lisnard, maire de Cannes (Alpes-Maritimes) et président de la communauté d’agglomération Cannes Pays de Lérins, est président de l’Association des maires de France (AMF) depuis le 17 novembre 2021. Il répond à La Voix du Gendarme sur différentes questions d’actualité: implantation et financement des nouvelles brigades, agressions des élus, mais aussi zones de compétences.
LVDG En termes de lutte contre l’insécurité ou le sentiment d’insécurité, qu’attendent concrètement les maires des forces de sécurité intérieure ?
David Lisnard Les maires attendent la même chose que la population : pouvoir vivre en sécurité partout sur le territoire. C’est la mission première de l’Etat.
Ils attendent des forces de sécurité qu’elles assurent l’ordre public de manière homogène sur le territoire et adaptée aux réalités locales. Que l’on vive à la campagne, une ville moyenne ou un grand centre urbain, sur le territoire métropolitain ou outre-mer, les maires doivent pouvoir compter sur un service de sécurité équivalent pour les habitants, adapté aux spécificités locales. La dualité des forces est un atout pour y parvenir, car Police et Gendarmerie nationales se complètent. Les maires souhaitent que les services disposent des moyens matériels et humains nécessaires, et d’une doctrine d’emploi adaptée aux phénomènes de délinquance constatés ou prévisibles. C’est le cas par exemple de la cybercriminalité.
Concrètement, les maires attendent une présence, réelle et efficace. Car la présence sur la voie publique permet de prévenir et d’intervenir, comme c’est le cas des Gendarmes en zone Gendarmerie. Pour autant, on constate ces dernières années un léger recul de cette présence, consécutif à la fermeture d’unités. La création des deux cents brigades annoncées devrait permettre d’inverser cette tendance. Les élus ont participé aux concertations locales et attendent maintenant que les annonces se concrétisent, et de connaître les sites retenus et les effectifs.
Enfin, les maires veulent des procédures judiciaires suivies et des réponses pénales effectives, contre la délinquance en général et contre les violences faites aux élus qui se multiplient.
LVDG Quelle est la position de l’AMF sur la répartition des zones de compétence Police et Gendarmerie. D’un côté il y a le ministre de l’Intérieur qui ne suit pas les préconisations du Livre Blanc de la sécurité intérieure, et d’un autre le Sénat qui a fait adopter un amendement dans ce sens lors de l’examen de la LOPMI?
Concernant ces zones de compétence, ne pensez-vous pas qu’il faut raisonner en termes d’offre de sécurité “à la carte”, et que les maires doivent pouvoir proposer un changement s’ils le jugent de nature à améliorer la sécurité dans leur commune ?
DL La question des zones de compétence revient périodiquement. Des redéploiements territoriaux entre la Police et la Gendarmerie ont été opérés de 2003 à 2006 sous l’égide de la LOPSI et en 2011 en application de la RGPP. La situation sécuritaire des circonscriptions concernées est-elle meilleure ? Quelles évaluations précises ont été faites sur le bénéfice de ces changements ? Je n’ai pas connaissance de telles études hors un rapport de la Cour des comptes peu conclusif.
Une chose est certaine, que ce soit du côté de la Police ou de la Gendarmerie, les maires restent attachés à la force de sécurité dont ils dépendent historiquement. L’exemple de l’agglomération toulousaine en est une illustration. Le rattachement proposé de certaines communes à la zone de compétence police, dans le cadre d’une réorganisation des services par “bassin de délinquance”, avait été contesté par des maires légitimement attachés à “leurs Gendarmes”.
Face aux défis que nous affrontons, avec notamment la contestation sociale, la montée des violences, et l’organisation de la manifestation internationale des JO, il ne semble pas opportun de se lancer aujourd’hui dans des changements d’une telle échelle et d’une telle complexité. Pour l’heure, il s’agit de réagir avec nos forces de sécurité, en renforçant leur pouvoir d’action avec tous les leviers possibles. La LOPMI est une avancée ; l’AMF restera attentive aux résultats concrets.
Face aux carences évidentes et croissantes de l’Etat, depuis une vingtaine d’années, de nombreux maires prennent part à la sécurité en recrutant des policiers municipaux quand ils le peuvent, et développent leur stratégie de sécurité à l’échelle municipale et parfois intercommunale. Nous continuons également d’investir dans la vidéo protection.
“Dans les zones périurbaines et rurales, la Gendarmerie reste la force qui détient le monopole, et le service est rendu.
Dans les zones péri-urbaines et rurales, la Gendarmerie reste la force qui détient le monopole, et le service est rendu. Compte tenu de l’augmentation de la population dans ces zones, en particulier à proximité des métropoles, jusqu’à quand pourra-t-elle le faire ? L’utilisation des deux cents brigades et des effectifs associés pourrait être une manière d’y répondre. Nous verrons si les effets en matière de la stabilisation des grands centres urbains par le renfort des forces de sécurité agissant en périphérie sont tangibles. La Gendarmerie reste une puissance publique de statut militaire qui se place comme une force d’équilibre entre centre et périphérie.
LVDG Concernant les 200 nouvelles brigades de Gendarmerie, des parlementaires de l’Assemblée et du Sénat ont fait part de leur inquiétude concernant les financements des casernes par les communes. Le sénat a adopté un amendement visant à renforcer le dispositif de soutien financier aux collectivités territoriales en leur permettant de déroger à des règles comptables et budgétaires. Que pensez-vous de ce mode de financement mettant les communes et plus largement les collectivités locales et territoriales à contribution ?
DL L’idée d’opérer une concertation sous l’égide des préfets sur les implantations retenues est une bonne chose. La question du financement des brigades demeure l’enjeu de préoccupation des maires surtout dans la situation économique actuelle. Et nous avons assez des transferts de compétences non-dits et non financés !
25% des casernes de Gendarmerie appartiennent à l’État, les autres appartiennent aux collectivités locales ou font l’objet de baux emphytéotiques administratifs (BEA). Dans le cadre des BEA, les collectivités recourent à des partenariats public privés : la construction de la caserne est déléguée à un investisseur qui se rembourse sur le loyer versé par la commune. Cette dernière équilibre ses comptes par les loyers dûs par la Gendarmerie.
En théorie, les dispositifs permettent un partenariat Etat/collectivité dit “gagnant / gagnant”. La réalité est plus contrastée, c’est un euphémisme.
Dans les faits, les élus font remonter des difficultés de nature variée. En premier lieu, l’accord financier des collectivités concernées par le projet de la brigade n’est pas équilibré entre l’investissement et le service sécurité. Une brigade agit sur le ressort de plusieurs communes mais l’investissement financier repose généralement sur la commune d’implantation. La mutualisation par les EPCI est une solution intéressante.
Deuxièmement, il existe un effet ciseau au bout de 10/15 ans. L’opération financière est à l’équilibre au début mais les nécessaires rénovations et entretiens alourdissent la facture au fil des ans. Dans certains cas, les loyers sont même revus à la baisse. L’équilibre se transforme souvent en charge pouvant atteindre des sommes de la valeur du million d’euros pour des communes de petite taille. Des situations de blocage sont connues comme dans la commune de Lorrez en Seine-et-Marne. Enfin, les évolutions locales sur la durée d’investissement nécessitent soit une réduction des effectifs, conduisant à une fermeture partielle des locaux voire à une fermeture définitive, soit une augmentation des effectifs due à une augmentation de la délinquance. Il est alors nécessaire de faire des travaux d’extension quand c’est possible ou de trouver un autre site pour un projet adapté, comme par exemple à Vence (06).
Un nouveau décret devrait venir atténuer ces difficultés avant la fin d’année, en amont de la mise en place des deux cents brigades.
LVDG Peut-on espérer que les lieux d’implantation des nouvelles brigades soient choisis uniquement d’après des critères opérationnels objectifs, et non pour faire plaisir à des élus ou en fonction des capacités financières des collectivités locales et territoriales ?
DL L’AMF n’a pas été directement associée à l’élaboration de la carte des nouvelles implantations, et à ce stade, nous n’avons pas d’information sur ces implantations.
Les concertations ont été menées au niveau départemental sous l’égide des préfets. Ces concertations avaient vocation à s’appuyer sur des critères objectifs de dynamique territoriale et sur une vision “tactique” sur le plan militaire avec une question claire : où doit-on implanter une caserne pour les cinquante prochaines années, dans une double vision, de sécurité intérieure et de défense nationale ?
Si l’équation financière doit être prise en compte, celle-ci ne doit pas être le seul critère et, surtout, elle ne doit pas reposer essentiellement sur les capacités des collectivités territoriales concernées. Le risque de fracture sécuritaire serait catastrophique.
LVDG Qu’est-ce que l’AMF met en place pour prévenir les agressions d’élus ?
DL L’AMF a multiplié les alertes au Gouvernement sur l’urgence de la situation. Pour accompagner les élus confrontés à ces violences dans leurs démarches, l’AMF a créé en 2020 l’observatoire des agressions envers les élus, noué un partenariat avec l’association France Victimes pour un soutien psychologique, et mis en place avec la Gendarmerie nationale un programme de formation dédié à la gestion des incivilités.
L’AMF a soutenu la possibilité de se constituer partie civile pour appuyer les démarches des élus, et la loi le permet depuis de début de l’année. Nous souhaitons ainsi qu’une agression de maire, dans ses fonctions, soit réellement une circonstance aggravante, s’agissant des menaces ou dénigrements sur les réseaux sociaux, nous proposons que le délai de prescription soit porté de trois mois à six mois.
Nous souhaitons ainsi qu’une agression de maire, dans ses fonctions, soit réellement une circonstance aggravante, s’agissant des menaces ou dénigrements sur les réseaux sociaux, nous proposons que le délai de prescription soit porté de trois mois à six mois.
Il faut aussi davantage de prévention et un suivi pénal systématique, à commencer par de vraies enquêtes et une instruction suivie, effective et rapide. C’est par l’exécution que tout se joue.
LVDG La question de la sécurité intérieure peut-elle se résumer à une logique de moyens ? La LOPMI est un effort certes ambitieux mais ce “fourre-tout » de moyens peut-il produire de véritables effets sur les problèmes de fond actuels ?
DL On ne peut résumer l’exercice d’une fonction régalienne de sécurité à la seule logique de moyens : il faut disposer d’une stratégie élaborée à partir d’une vision à long terme.
La LOPMI est un effort conséquent sur le plan budgétaire, ce qui est positif. Cependant ses effets risquent d’être atténués par deux phénomènes. Le premier est conjoncturel et touche tout le pays : il s’agit de l’inflation. Certains investissements seront probablement retardés. Deuxièmement il faut assortir ces moyens d’un renforcement du suivi pénal. Les sanctions pénales et leur exécution doivent constituer une priorité.
Enfin, dans ce domaine comme dans tous les autres, il faut s’attaquer au fléau qui augmente les coûts tout en diminuant les actions concrètes, je parle de la bureaucratie qui gangrène l’action publique. C’est la priorité.
Créée en 1907, et transpartisane, l’AMF regroupe 34000 maires et présidents d’intercommunalité
Association transpartisane, avec des élus de différents bords politiques, l’AMF a été créée en 1907, et est reconnue d’utilité publique dès 1933.
Cette puissante association, qui organise chaque année le congrès des maires et co-organise le salon des maires, se présente comme “étant aux côtés des maires et des présidents d’intercommunalité”. Plus de 34 000 maires et présidents d’intercommunalité en sont aujourd’hui adhérents. Les services de l’AMF exercent un suivi continu de l’actualité législative et réglementaire des collectivités et conduisent un travail d’expertise approfondie afin de délivrer des conseils personnalisés aux maires et aux présidents de communautés. Concernant la sécurité, un officier de Gendarmerie, actuellement le lieutenant-colonel Denis Mottier, et un officier de la Police nationale sont détachés auprès de l’AMF.
L’Association est administrée par un bureau représentatif de toutes les sensibilités politiques, composé de 36 membres élus par l’Assemblée générale pour trois ans. Un bureau exécutif de 9 membres assure la gestion quotidienne de l’Association. Par ailleurs, l’Association des maires ruraux de France (AMRF), l’Association nationale des élus du littoral (ANEL), l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), France Urbaine, Ville et banlieue, Villes de France, les Éco-maires, l’association Intercommunalités de France, l’Association des petites villes de France (APVF), l’Association des maires d’Île- de-France (AMIF), l’Association des communes et communautés d’outre-mer (ACCD’OM) sont membres associés du Bureau.
BIO EXPRESS David Lisnard
Âgé de 54 ans, David Lisnard, bien que né à Limoges, est Cannois depuis plu- sieurs générations. Fils d’un footballeur professionnel et d’une danseuse étoile, ce très grand sportif, qui court le marathon en moins de trois heures, est diplômé de Sciences-Politiques Bordeaux. Après son service militaire dans l’armée de Terre, il a commencé dans la vie publique comme directeur de cabinet et attaché parlementaire de Jacques Pélissard, député-maire de Lons-le-Saunier (Jura) qui deviendra par la suite président des maires de France. Revenu à Cannes en 1999, il a repris le petit commerce familial, et a dirigé plusieurs entreprises avant d’être élu en 2001, et nommé adjoint au tourisme, au développement économique tout en étant nommé président de la société d’exploitation du Palais des Festivals et des Congrès. Réélu en 2008 et promu 1er adjoint tout en étant également élu conseiller général de Cannes, il a été élu maire de Cannes en 2014 avec près de 59% des voix, et reconduit en 2020 avec plus de 88% des suffrages. Président de la communauté d’agglomération Cannes Pays de Lérins, il est aussi suppléant de la députée (LR) Alexandra Martin, membre de la commission de la Défense nationale. Le président de l’AMF qui en a été vice-président et porte-parole de 2017 à 2021 est aussi vice-président du conseil départemental des Alpes-Maritimes. Membre des Républicains, il est président du parti “Nouvelle Energie” qu’il a créé.