À presque mi-parcours du Beauvau de la sécurité qui a débuté en février pour s’achever en mai, le président de l’APNM Gendarmes & Citoyens, l’adjudant Thierry Guerrero, affecté en brigade territoriale depuis 1998 après plusieurs années en Gendarmerie mobile, donne son point de vue sur cette opération. Il fustige la représentativité de la délégation Gendarmerie.
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Qu’attendez vous du Beauvau de la sécurité ?
En réalité, nous n’en attendons pas grand-chose. Il faut remettre dans son contexte la tenue du Beauvau de la sécurité. À l’issue de la publication du livre blanc, un état des lieux très précis sur les deux forces de sécurité a été fait. Tout le monde sera d’accord sur le fait qu’une des conclusions majeures était qu’une restructuration de la Police Nationale devait être mise en œuvre. Le Livre blanc, et je n’invente rien, cite à plusieurs reprises le modèle Gendarmerie dans sa structuration. Non pas qu’il n’y rien à changer chez nous, mais globalement notre système a fait ses preuves depuis des décennies. Par la suite, l’actualité malheureuse a été le déclencheur de ce Beauvau de la sécurité par le ministre de l’Intérieur. Entendons nous bien. Je ne suis pas en train de dénigrer nos amis policiers, mais ce serait se voiler la face que d’affirmer qu’ils peuvent travailler dans des conditions optimales avec leur fonctionnement. Je pense sincèrement que l’issue du Beauvau impactera beaucoup plus profondément la Police Nationale que la Gendarmerie. Pour autant, nous nous devons d’y être présents pour être attentifs aux évolutions qui en découleront assurément. Depuis longtemps, ce qui impact l’une des deux maisons a une incidence sur l’autre.
Quelles sont selon vous, parmi les 8 thématiques, celles qui concernent davantage la Gendarmerie ?Toutes les thématiques nous concernent, mais avec des approches différentes. Je vais prendre l’exemple de la première des thématiques, le lien Police-Gendarmerie-Population. La spécificité de la Gendarmerie, pour ne pas dire son ADN, c’est justement ce lien. Ce n’est absolument pas comparable avec nos amis policiers. Notre maillage territorial, le fait de vivre sur notre lieu de travail avec tout ce que cela implique et ce, depuis toujours, fait que nous pouvons apporter une expertise pointue sur ce sujet. Le modèle Gendarmerie est basé quasiment entièrement sur cela. Il est donc logique que l’approche de cette thématique soit diamétralement opposée à celle de la Police nationale. Eux doivent se rapprocher de ce modèle et nous, ne pas nous en éloigner. C’est d’ailleurs un chantier qui est ouvert depuis plusieurs années maintenant dans notre institution. Le Général Favier avait ouvert la porte avec la feuille de route, reprise, modifiée et modernisée par son successeur le Général Lizurey, puis un cap supplémentaire a été franchi avec GEND 20.24 du général Rodriguez.
C’est pleinement en cible avec la volonté de solidifier ce lien. D’ailleurs, “pour la population, par le Gendarme” résume tout. Remettre le contact au centre des missions prioritaires du Gendarme est un des piliers de GEND 20.24.
Cela sera un peu la même chose sur la thématique maintien de l’ordre, avec sur ce point une approche commune. Le savoir faire de la gendarmerie mobile et des CRS n’est plus à démontrer. Le vrai sujet sera en réalité le maintien de l’ordre par les unités non spécialisées. Et la, c’est clairement du côté Police qu’il faudra regarder.
Pour le reste, chacune des deux forces apportera ses réflexions. Pour autant, je pense que la thématique sur laquelle GN et PN seront sur le même diapason, est celle des relations avec la justice. Ce sera je pense l’un des plus gros chantiers. Pourquoi ? Parce que sur ce sujet, nous soulignons les difficultés depuis trop longtemps qu’il s’agisse des policiers comme des Gendarmes.
Dans une communication sur votre site, vous fustigez le manque de représentativité de la délégation Gendarmerie. Pour quelles raisons ?
J’ai effectivement un doute sur la capacité des personnels présents à expliquer et défendre le sujet. Je me demande si le choix a été judicieux. Comme nous l’avons dénoncé dans notre magazine, il y a à mon sens un vrai problème de représentativité dans le groupe de liaison (GL) et même au niveau du CFMG (conseil de la fonction militaire Gendarmerie) tel qu’il est composé aujourd’hui. Moi le premier, et bon nombre de Gendarmes du terrain ne se sentent absolument pas représentés par les membres actuels. Il n’ y a qu’à regarder la composition du conseil à l’issue des dernières élections et l’analyser de manière très pragmatique, notamment au niveau des titulaires puisqu’ils sont par définition la majorité à intervenir. Nous sommes devant une incohérence où les militaires de terrain font partie des moins représentés. Je ne parle pas des grades mais du terrain. Pour en revenir au GL, en visionnant la première table ronde sur la thématique du lien population-forces de l’ordre, j’ai du mal à comprendre comment ceux qui sont censés nous représenter peuvent parler de ce sujet? Soyons un peu sérieux ! A la limite, le seul auquel j’apporterais de la légitimité et de la crédibilité est le major actuellement conseiller conception de 3ème niveau (CC3) d’une région. On peut imaginer qu’il s’appuie sur une partie de son expérience de terrain, même s’il n’exerce plus dans ce type d’unité depuis presque 8 ans. Mais alors, que dire des autres membres ? Croyez vous sincèrement qu’un militaire ayant fait la majeure partie de sa carrière en secrétariat ou état-major de Gendarmerie Mobile, n’ayant jamais pris une garde à vue de sa vie et peut être même une audition, ou encore un militaire servant depuis sa sortie d’école dans la Garde Républicaine, sont à même d’aller parler des difficultés du lien population-FDO que rencontre le brigadier au quotidien ? D’aller expliquer au ministre quelles difficultés il rencontre dans ses relations avec les magistrats ou la procédure pénale ? Et je ne parle pas du reste où les brigadiers sont obligés de composer seuls par manque de moyens des autres administrations. Très honnêtement, la désignation des membres du groupe de liaison par le secrétaire général du CFMG n’est pas à la hauteur des attentes du terrain. Déjà que le terrain est peu représenté au sein du CFMG, il aurait été de bon ton de piocher à minima pour le groupe de liaison dans cette catégorie de militaires.
Que préconisez vous pour améliorer la représentativité du CFMG?
Changer le mode d’élection?
Tout d’abord, il faut se poser la question de savoir ce que nous voulons vraiment. Une professionnalisation de la concertation, bien lissée, composée de membres rodés à l’intervention publique mais qui font du politiquement correct? ou des Gendarmes qui s’expriment moins bien mais avec leur cœur et qui sont en phase avec la réalité. C’est bien là le cœur du problème. Je ne dis pas que les camarades membres du CFMG ne sont pas plein de bonne volonté. L’implication dans la concertation est un engagement professionnel fort, mais encore faut-il ne pas se perdre en route. Aujourd’hui on constate que la grande majorité des membres peuvent être comparés à des “sénateurs », qui pantouflent pour certains depuis presque une décennie, pour d’autres depuis encore plus longtemps ! La réalité du terrain va vite, très vite ! Il nous faut donc être aussi réactif. Le mode d’élection par un système de grand électeur n’est pas si mauvais en soi, mais il est contre productif par un effet pervers très simple. On constate que la plupart des membres sont des conseillers concertation de 2ème niveau (CC2) ou de 3ème niveau (CC3), des militaires déjà à plein temps dans la concertation. Ils s’élisent naturellement entre eux, ce qui interdit l’accès de manière automatique aux militaires de terrain. Je ne suis pas contre le fait que soient pris en priorité des concertants mais je serais d’avis que ce soit d’abord les conseillers de concertation de 1er niveau (CC1), en lien direct avec le terrain, puisqu’ils sont au niveau des compagnies et le plus souvent en unité opérationnelle, qui soient élus aux poste de titulaires. Les CC2 et CC3 seraient élus sur les postes de suppléants. Cela me semble que ce serait une réelle plus value. Les membres du groupe de liaison (GL) seraient ensuite soit tirés au sort parmi les titulaires, et non pas désignés par le secrétaire général du CFMG, soit élus par l’ensemble des membres. Il est anormal que sur la totalité des membres titulaires, seulement 22 % viennent d’escadrons de GM ou d’unités opérationnelles de Gendarmerie départementale. Le ratio devrait être inversé, ce qui serait en adéquation avec la répartition des effectifs de la Gendarmerie. On pourrait ainsi parler d’une vraie représentativité.
D’ailleurs, je n’invente rien ! N’est-ce pas le DG lui même qui a déclaré lors du Beauvau et je le cite, “ la vraie Gendarmerie c’est celle qui est sur le terrain, ce sont les Gendarmes qui sont dans les unités”. Il m’apparaît donc logique que “la vraie Gendarmerie” soit véritablement représentée aujourd’hui.
Propos recueillis par Maurice Jolivet